Introduction : une expérience particulière
Le week-end dernier, j’ai vécu une expérience très particulière. Ce n’était pas mon premier webinaire : j’en ai déjà donné trois dans le cadre de cette série mensuelle que j’appelle « changements de paradigme ».
Ces rencontres régulières visent à accompagner celles et ceux qui m’écoutent dans un cheminement spirituel. Un cheminement qui demeure profondément spirituel, mais qui prend appui sur le rationnel : un déplacement, un bousculement de croyances devenues nécessaires pour libérer la pensée et retrouver la cohérence et la pertinence des enseignements reçus.
Un capital d’espoir pour l’Ummah ?
Le dernier webinaire fut vraiment spécial, car il touchait à une croyance encore vive, toujours actuelle — contrairement aux thèmes plus philosophiques ou lointains que nous avions abordés précédemment, et qui dérangent moins.
Cette fois-ci, j’ai choisi de me placer dans une posture claire, sans équivoque, sans nuance : non, la croyance en la venue d’un Messie, la croyance en l’apparition d’un Mahdi, n’est pas une croyance salutaire ni bénéfique pour les humains.
Je comprends que cela puisse heurter. Et effectivement, cela a dérangé. J’ai reçu des questions, des critiques, des inquiétudes, de la part de personnes troublées par ce que cela pouvait représenter : la perte d’un capital d’espoir pour l’Ummah.
Un ami m’a écrit en ce sens. Pour lui, Al-Mahdi représente un capital d’espérance pour la communauté. Croire à sa venue n’est pas seulement bénéfique, mais nécessaire, afin que demeure vivant l’espoir d’un avenir meilleur pour l’humanité entière.
Selon lui, cette croyance a été recommandée à l’homme par l’Intelligence divine elle-même, comme une consolation adressée aux opprimés : « Vous n’êtes pas seuls, malgré toutes les difficultés que vous traversez. Le salut viendra. Une solution existe. »
Cet ami prenait l’exemple des enfants de Gaza : pour eux, disait-il, il est vital de croire à la venue d’un sauveur qui rétablira la justice. À ses yeux, cette croyance ne mène pas à la passivité, mais au contraire donne courage et motivation. C’est pour cela, ajoutait-il, qu’on voit des gens lutter jusqu’au dernier souffle, soutenus par l’espérance que le Mahdi, que le Messie, viendra.
Voilà, en résumé, ce qu’il m’a écrit. Et sa réflexion s’est conclue par une question adressée directement à moi :
« Ne penses-tu pas qu’une telle croyance est précieuse ? Qu’elle motive les gens à agir dans le sens positif, à apporter un changement salutaire ? Et qu’en la rejetant et en la critiquant de cette manière, tu prives la communauté d’un capital d’espoir indispensable pour nourrir l’espérance d’un avenir meilleur ? »
Voici ma réponse.
Les dangers des élans issus de la croyance
Il nous faut trouver un moyen de créer un élan qui ne dépende pas uniquement de la motivation née des croyances. Car les élans qui naissent de la croyance sont dangereux — doublement dangereux.
Premier danger : ils peuvent causer des dégâts immenses.
Lorsqu’une personne est mobilisée uniquement par une croyance qui parle à son sentiment, cette croyance ne laisse pas de place à la raison. Le rationnel, qui devrait intervenir pour tempérer et nuancer, est court-circuité. L’individu passe directement du sentimental à l’émotionnel, puis à la décision d’agir. Et il agit alors sans médiation de la raison.
C’est ainsi que naissent les fanatismes et les extrémismes. C’est ce qui explique les croisades, certains mouvements religieux radicaux ou encore les excès idéologiques. Car une personne, sous l’emprise d’une croyance, agit par conviction d’une promesse — fut-elle messianique.
On le voit aujourd’hui avec les crimes commis par l’État d’Israël, justifiés par une croyance : l’attente messianique. Il faudrait « préparer le terrain pour le Messie ». De la même manière, le nazisme s’appuyait sur un mythe de salut national. L’« État islamique » a lui aussi mobilisé des milliers de jeunes persuadés d’œuvrer pour l’avènement du Mahdi. L’histoire est jalonnée de révolutions et de mouvements inspirés par des croyances aveugles en une promesse salvatrice — avec des conséquences toujours destructrices.
Deuxième danger : ces élans sont éphémères.
Ils ne durent pas. C’est pourquoi tant de révolutions, après avoir provoqué d’immenses dégâts, se sont effondrées quelques années plus tard.
Les personnes engagées dans des sectes, des cultes ou des mouvements fondés sur une croyance finissent tôt ou tard par se désillusionner. Mais cette désillusion ne ramène pas forcément à la santé. Elle laisse souvent derrière elle des individus brisés, nécessitant un accompagnement qu’ils ne trouvent pas.
Beaucoup en sortent avec des blessures psychologiques, des désillusions profondes, et une fatigue telle qu’ils ne répondent plus à aucun appel de changement, même positif. Ayant épuisé toute leur énergie dans un engagement motivé par une croyance, ils deviennent comme des cendres encore fumantes, incapables de se rallumer au souffle d’une espérance nouvelle.
Messianisme et Mahdisme : espoir ou péril ?
Oui, les mouvements messianiques ou mahdiques portent en eux une forme d’espoir. Ils peuvent donner l’élan de demander un monde meilleur, de se mobiliser pour une révolution, de s’engager dans un changement. Je reconnais ce potentiel.
Mais cet espoir n’est pas salutaire. Car il est partiel. Il est non universel.
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Les juifs attendent un Messie pour eux.
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Les chrétiens attendent un Messie pour eux.
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Les musulmans attendent un Mahdi pour eux.
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Et certains musulmans chiites attendent un Mahdi encore plus exclusif, pour eux seuls.
Or, la conception même du Messie ou du Mahdi devrait être universelle : un principe qui émane de tous, qui répond à tous, et qui ramène le bien pour tous. Mais les hommes, aujourd’hui, ne sont pas encore à ce niveau. Les attentes restent partisanes.
Dès lors, un mouvement mobilisé par l’attente d’un Messie ou d’un Mahdi risque fort de reproduire ce que nous voyons en Israël aujourd’hui : la violence, le sang, les crimes commis au nom d’une croyance messianique. De la même manière, le « califat » autoproclamé de l’État islamique a embrasé une génération de jeunes persuadés de préparer l’avènement du Mahdi.
Conclusion : vers un élan universel
Oui, le messianisme et le mahdisme peuvent susciter un souffle, une révolte, un désir de changement. Mais cet espoir reste limité. Il est exclusif. Il est partiel. Ce n’est donc pas un espoir véritablement salutaire.
L’élan véritable, celui dont nous avons besoin, doit venir d’une source plus profonde que la simple croyance : d’une conscience rationnelle, universelle et responsable, capable de créer un changement durable, juste et bénéfique pour tous.
Notre époque a soif de ce souffle nouveau. Un souffle qui dépasse les promesses messianiques pour ouvrir l’humanité à un avenir réellement universel.