
Quand ma paix devient ta paix : le sens profond de "al Iman"
Le Amn - la sécurité - n’est pas l’idéal ultime que l’être humain doit rechercher. Car la plupart des guerres ont été justifiées par ce besoin : sécuriser un espace pour ses citoyens, créer un lieu où vivre et commercer. Les guerres d’indépendance ou de séparation répondaient à la même logique : « je me sépare de toi afin d’avoir mon espace à moi, que je dois sécuriser contre toi. »
Lorsque Abraham, dans sa prière, s’adresse au Développeur de sa conscience en disant :
« convertis cette terre en une terre en sécurité, une terre sans guerre »,
il ne demandait pas simplement que ce territoire précis soit sanctuarisé, protégé de ses ennemis voisins. On ne peut pas imaginer une conscience universelle comme la sienne se réduire à prier pour l’indépendance d’une parcelle de terre, avec ses frontières et ses identités figées. Son projet était plus vaste : c’était un projet de Iman.
Le sens de Iman
Avant d’aller plus loin, il est essentiel de préciser que je n’utilise pas la traduction conventionnelle du mot Imân, le plus souvent rendu par « foi » ou « croyance ». Ces traductions, bien que répandues, aplatissent la richesse du terme et en réduisent la portée.
En arabe, Imân est enraciné dans amn — un mot qui évoque la confiance, la sûreté, la sécurité relationnelle. Sa morphologie reflète une interaction, un engagement (nisba), non pas un état statique de « croire », mais un processus actif de se confier et d’être confié. Dans ce sens, Imân est moins une croyance qu’une posture d’ouverture relationnelle et de responsabilité.
Iman : un projet pour relier l’humanité
Dans ce projet, le Amn de l’un dépend du Amn de l’autre. Ce n’est pas une codépendance mais une interdépendance consciente : un choix délibéré de bâtir un lien. Le Iman est la décision de créer une relation où ma sécurité et la tienne se renforcent mutuellement, où ma prospérité inclut la tienne, où mon bien-être ne peut se concevoir sans le tien. C’est un engagement relationnel — choisi, intentionnel, durable — qui lie mon destin au tien.
La langue arabe le montre clairement. L’ajout de la voyelle ي dans Imân (إيمان) par rapport à Amn (أمن) indique un rapport, un lien, une interaction — nisba. De plus, le passage de la vocalisation أ (a) à إ (i) exprime un mouvement d’humilité : s’incliner, adoucir sa posture, mettre l’ego de côté, renoncer à l’orgueil. La langue ici ne se contente pas de nommer ; elle suggère une attitude de conscience.
Un paradigme prophétique
Le Iman, compris comme projet politique et social, a commencé comme une prière d’Abraham — une vision et intention — mais il a été pleinement activé avec le message de Muhammad. Son intention était de remplacer les idéologies de dualité et les guerres d’identité, de religion, de territoire — toutes justifiées par le réflexe de sécuriser son terrain contre son voisin (son « terrain de jeu » contre l’autre).
Le Prophète a dit : al-mu’min man amina jâruhu bawâ’iquh — le mu’min est celui dont le voisin se sent en sécurité. Ce n’est pas une formule pieuse ou romantique, mais une correction de paradigme. Le paradigme dominant disait : « je suis en sécurité si mon voisin ne m’attaque pas. » Le paradigme prophétique rectifie : « tu es en sécurité si tu n’attaques pas ton voisin. » Si tu comprends et que tu actives ce paradigme dans ta vie, tu deviens digne du projet universel de Iman.
Voilà le cœur du projet de Iman : un paradigme universel, motivé par la conscience et l’intelligence, qui pense à long terme. Si je me limite à aujourd’hui, je crois que ma sécurité dépend de la méfiance et de la défense contre mes voisins. Mais si je change de paradigme et que je refuse de leur nuire — de commettre l’injustice — je crée, au fil des années et même des siècles, les conditions d’une sécurité véritable.
Ainsi, le Iman est le mariage de deux Amn. Mon Amn et ton Amn, réunis, produisent Iman. À l’inverse, mon Amn contre ton Amn — ma sécurité contre ta sécurité — engendre la guerre. Le Iman est donc un projet conscient de propagation de la paix et de la justice, permettant une transformation politique et sociale — et, avant tout cela, une transformation personnelle, psychologique et spirituelle. Et une telle transformation ne peut commencer que par une transformation de paradigme.
Transformation et responsabilité
Ce projet n’est pas uniquement social et politique ; il commence au plus intime. Il suppose une nouvelle manière de rapporter la conscience à nos besoins. Oui, j’ai besoin de sécurité, d’affection, de prospérité, mais si je laisse ces besoins me guider seuls, je finis par commettre des torts et des abus. C’est pourquoi l’enseignement dit : la yu’minu ahadukum hattâ yuhibba li-akhihi mâ yuhibbu linafsih — nul n’est mu’min tant qu’il n’aime pas pour l’autre ce qu’il aime pour lui-même. Le Iman ne peut être porté que par un désir et un amour qui dépassent l’individu et qui incluent l’autre.
Lorsque les individus ou les sociétés se rassemblent uniquement autour de leurs propres besoins, ces mobilisations naissent vite mais se dispersent tout aussi vite. Ce qui donne de la solidité, ce n’est pas la satisfaction immédiate des besoins, mais une intention enracinée dans la conscience : « je fais cela pour mon bien et pour le bien de l’autre. »
Conclusion
Le projet de Iman est, en son essence, la construction d’un espace commun de sécurité — non pas seulement une sécurité physique, mais un espace de conscience et de responsabilité. La vraie sécurité ne peut venir que de cette conscience : un environnement où chacun peut vivre en paix et en harmonie, sous une justice qui émane de tous, est voulue par tous et recherchée par tous. Ne pensons pas le message prophétique comme enfermé il y a 1 500 ans : il est vivant et pertinent pour les problèmes que nous affrontons aujourd’hui — appelant à passer de la survie centrée sur soi à la floraison collective.
Ainsi :
• celui qui est en sécurité n’est pas celui qui se protège de son voisin, mais celui qui protège son voisin de ses propres torts ;
• celui qui est prospère n’est pas celui qui poursuit sa prospérité seul, mais celui qui cherche la prospérité de tous — lui inclus.