Au revoir, cher invité...

art/adab/ihsan ramadan vivre en harmonie avec le divin May 12, 2021

 

Ça y est, nous y sommes, le mois de Ramadan touche à sa fin. Nous avons vécu la dernière nuit en sa compagnie, et le jour de son départ est finalement arrivé. Le moment de se séparer est venu. Chaque année, nous clôturons ce moment par la célébration d’un chant spécialement écrit pour l’occasion. Il s’agit d’un chant chargé en tristesse, un appel à la conscience, un appel à réveiller cette tristesse dans nos cœurs. Un appel à vivre ce moment avec art et grandeur.

  


L’ART DE DIRE AU REVOIR

Comme avec tout invité, il y a un art de recevoir, et un art de voir partir. Nous devons être présents et connectés avec celui qui vient nous rendre visite, et lorsque vient le moment de la séparation, il nous faut l’aider, porter ses bagages, le raccompagner au moins jusqu’à la porte, jusqu’à sa voiture voire même jusqu’à son train ou son avion s’il vient de loin.

Et d’autant plus lorsque lorsqu’il s’agit d’un de nos enseignants, d’une personne qui nous accompagne dans notre chemin qui mène à Dieu. Nous essayons de passer un maximum de temps à ses côtés, le cœur serré à l’idée de la séparation. Les dernières heures sont consacrées à l’honorer, à célébrer sa présence et les moments partagés, quitte à dormir très peu voire pas du tout la dernière nuit passée ensemble.

 

NE DÉSERTE PAS !

Il est si triste de voir chaque année les mosquées et les salles de méditation désertées les trois derniers jours du mois de Ramadan… Notre invité est venu, il a distribué ses cadeaux : les dix derniers jours, la Nuit du Pouvoir et de la Destinée, la présence des Anges… ce n’est pas pour qu’on finisse par l’ignorer et le négliger les trois derniers jours ! Que Dieu nous protège et nous rende plus conscients...

Imaginez qu’il s’agisse de votre grand-père ou d’un parent éloigné. Il vient, les bras chargés de cadeaux. Il organise une célébration en votre honneur et vous surprend avec des attentions que vous n’aviez même pas imaginées. Tout au long de son séjour, il ne cesse de distribuer, de donner, de partager... Et trois jours avant la date de son départ, vous finissez par l’ignorer ! Non, ce n’est pas la bonne manière de clôturer ce séjour. L'invité est toujours là ! Il faut l’honorer et profiter de sa présence jusqu’au dernier moment !

 


LE MOIS DE RAMADAN, UN SERVITEUR DE DIEU

Le mois de Ramadan doit être vu et considéré comme un Serviteur de Dieu (‘abdullah). Il s’agit d’un être conscient, de toute une conscience collective qui vit et qui respire. Bien sûr, il se manifeste pour nous sous la forme d’une période de temps bien déterminée, mais le temps comme l'espace ne sont pas juste des éléments vides, ce sont des êtres conscients qui vivent et qui témoigneront le Jour du Jugement.

Ce jour-là, que Dieu nous protège, notre Maître qui a créé et veillé au développement de tout ce cosmos (incluant le temps et l’espace) va appeler le mois de Ramadan, qui se manifestera alors sous sa vraie Réalité. Et il apparaîtra sous la forme d’un très bel homme avec une barbe blanche qui aura un regard de vraie gentillesse et de compassion.

Le mois de Ramadan est un Serviteur parmi les Serviteurs de Dieu, à l’image de notre maître al-Khidr (que Dieu nous connecte à lui), dont Dieu nous parle dans la sourate 18 de Sa Sainte Lettre adressée à l’humanité. On peut proposer ce parallèle, car comme notre maître Moïse (que Dieu nous connecte à lui) l’a vécu avec al-Khidr, nous devons suivre le mois de Ramadan pour une période de temps bien déterminée, 29 ou 30 jours, faire preuve de patience en sa compagnie et aussi recevoir un enseignement qui vient de Dieu : l’apprentissage de la maturité spirituelle.

Ainsi, s’il se manifeste dans le monde matériel dans la forme d’un certain laps de temps, sa manifestation dans la vie éternelle sera sous la forme d’un être humain. Il sera à une des portes du Paradis pour intercéder pour les siens : il désignera ses amis, ceux qui l’ont chéri, aimé, reçu et qui ont pleuré à son départ. Il regardera d'un regard aimant ceux qui se réjouissaient lorsque, la nuit du doute, ils entendaient que le mois durerait 30 jours cette année, heureux de pouvoir bénéficier de quelques instants supplémentaires en sa présence.

 


UNE RELATION D’AMOUR

La chose la plus importante dans cette relation que nous avons avec Ramadan, c’est l’amour. Car qu’est-ce que l’on cherche, en réalité ? Qu’est-ce qui compte le plus ?

Ce n’est pas la couleur de la vaisselle que l’on a sortie pour recevoir l'invité, ni le prix que l’on a mis dans le repas et la décoration qui va faire d’un accueil un accueil effectué avec art, conscience et beauté (ihsan). Si vous investissez tout votre matériel dans une grande réception avec faste, mais que vous passez la soirée à éviter le regard de votre invité et à écourter toute conversation, alors vous passez à côté de l’essentiel. Au contraire, il vaut mieux n’avoir que du pain et de l’eau à offrir, mais avoir un cœur présent et bien connecté à la présence de l’autre, et ce jusqu’au dernier moment.

C’est pour cela que le fait d’accueillir le mois de Ramadan ne s’évalue pas à la lumière de nos actions. Ce n’est pas le nombre de fois que l’on a terminé la lecture du Qor’an en entier, ni le nombre de dons que l’on a pu faire qui détermine la qualité de notre relation à ce mois.

Ce qui compte, c’est l’amour ! Est-ce que tu aimes ce mois, ce serviteur parmi les Serviteurs du Divin qui est venu pour te donner l’enseignement dont tu avais besoin ?

 

"Ce qui compte, c’est l’amour !"

 


COMMENT FAIRE ?

C’est très simple en réalité. Si tu aimes, montre ton amour. Si tu es un amoureux, montre-le, dis-le, proclame-le ! Et si, au contraire, tu ne trouves pas encore assez d’amour dans ton cœur, comporte-toi comme se comportent les amoureux avec l’intention non pas de faire semblant et de jouer un rôle, mais avec l’intention de travailler sur toi-même, en vue que cet amour se développe.

Effectue les actions des amoureux comme un moyen de cultiver l'amour dans ton cœur, car, comme dans la nature, si l’on n’a pas de graine, il nous faut aller la chercher dans un fruit. Certes, le fruit est à l’origine un résultat issu d’une graine, mais à l'intérieur de ce fruit se trouvent plusieurs graines qui peuvent être plantées à leur tour, et qui détiennent en elles tout le potentiel de vie de la plante toute entière, jusqu'à l’obtention de nouveaux fruits. Il s’agit là d’une règle générale qui s’applique aussi aux actes de dévotion, aux rituels et exercices de développement de conscience, à tout ce que nous entreprenons dans le chemin qui mène à Dieu (‘ibada).

Ces actes de dévotion, pour les prophètes, étaient le fruit, l’expression de leur état et de leur relation avec Dieu. Ainsi, jeûner, prier et se prosterner étaient des fruits de la connaissance et de l'amour du Prophète (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui), il s’agissait d’une pure expression de son état intérieur. Lui était déjà complet et accompli en Dieu, il n’avait aucun besoin de travailler sur lui-même pour ressentir l'amour pour Dieu ou pour devenir humble à travers la prosternation, mais au contraire, c’est justement parce qu’il était déjà humble et épris d’amour qu’il s’est prosterné. Cet acte lui a donc été donné par Dieu pour exprimer ce qui était déjà en lui.

Alors que pour nous, l'objectif est de travailler sur nous-même à travers ces actions “fruits” pour parvenir à obtenir ces graines-là. C’est pour cela que nous disons que les actions sont des exercices de développement et de cultivation de ces réalités que les prophètes vivaient et exprimaient. Car si nous nous prosternons à notre tour, ce n’est pas pour prétendre que nous sommes déjà humbles et amoureux de Dieu, non. Plutôt, on le fait avec l'intention de travailler sur nous-mêmes en vue de développer cet amour et cette humilité, en vue de les vivre et de les incarner vraiment un jour. Et il s’agit là d'un chemin.

 

"Les actes de dévotion sont des exercices de développement et de cultivation des réalités, des états et des niveaux de conscience que les prophètes vivaient et exprimaient."


Une autre narration prophétique vient illustrer cette règle. Un homme est venu voir le Prophète (que Dieu nous abreuve de son amour et de sa lumière) pour se plaindre de la dureté de son cœur. Et il lui a donné la cure à son problème : aller voir un orphelin, et lui caresser les cheveux. Et il se trouve que caresser les cheveux et passer du temps avec une personne en difficulté est justement l’expression naturelle d’un cœur tendre et compatissant. Ainsi, en s’efforçant d’agir comme les gens de l’Amour (non pas de manière fausse mais avec l’humilité et les prières de celui qui cherche à se développer), les graines de l’amour finiront par pousser et prendre vie dans nos cœurs.

 


UTILISE TON IMAGINATION

Si tu ne te trouves pas naturellement en état de tristesse à l’idée du départ de ce mois, pose-toi quelques instants. Ouvre-toi à cet enseignement, réfléchis. Médite. Demande-toi quel état tu voudrais atteindre, travaille ta position intérieure et implore Dieu de te l’accorder.

Maintenant, visualise le mois de Ramadan sous sa forme du monde des Réalités. Imagine un homme bon, beau et noble, avec une belle barbe blanche. Plonge dans ses yeux doux et remplis de larmes à l’idée de te quitter. Regarde tous les cadeaux qu’il t’a apportés, à toi et à tes proches ainsi que les Anges qui l’accompagnaient et qui ont séjourné dans ta maison grâce à sa venue.

Et rappelle-toi de qui il est. Rappelle-toi que cet invité vient tous les ans, sans jamais manquer à sa promesse, et ce même si l’on a négligé les cadeaux qu'il nous a donnés l'année dernière, et sans parler de ceux des années précédentes. Malgré tout cela, il revient avec autant de cadeaux, voire plus. Les dix premiers jours, il se demande où sont passés les cadeaux de l'an dernier, mais il finit par pardonner. La deuxième décade, il donne de l’amour à profusion. Et lors des dix derniers jours, il finit par donner encore et encore… N'est-il pas incroyable ?

Et à partir de là, pose-toi la question : comment vais-je te quitter, Ô mois de Ramadan ?

Que Dieu nous donne la maturité de vivre les réalités qu’Il souhaite nous voir vivre. 

 

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Enseignement donné la nuit du 11 au 12 mai 2021 à Ottawa, après les prières nocturnes de cette dernière nuit du mois de Ramadan.

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