Au fil des années, une voix particulière s’est affirmée dans mes enseignements. Une vision, une terminologie, une approche se sont dessinées, distinctes de celles proposées par la majorité des shouyoukhs soufis ou autres figures de transmission spirituelle. Une proposition s’est révélée, singulière et nouvelle.
Je suis aujourd’hui convaincu que cette proposition porte en elle le potentiel de fonder une nouvelle école, une voie, un courant de pensée et de développement spirituel profondément enraciné dans la voie prophétique tout en étant résolument contemporain. Un apport que je crois devenu nécessaire — pour répondre aux véritables questions existentielles et spirituelles des chercheurs et chercheuses d’aujourd’hui. Nécessaire aussi pour que l’héritage mohammadien demeure vivant, vibrant, et en résonance avec notre époque — sans sombrer dans l’anachronisme ou l’obsolescence.
J’ai compris, au fil du temps, que cette mission — celle que je ne dois jamais trahir — est aussi la raison même de mon existence. Une destinée à laquelle l’univers a participé : par les rencontres, les facilités, l’éducation que j’ai reçue. Une mission qui consiste à proposer une alternative inspirée et inspirante dans l’enseignement religieux et la formation spirituelle, dans la voie mohammadienne.
À contribuer activement à ce vaste mouvement de renouveau des structures, de recréation des cultures, et d’élévation — ou plutôt de régénère-essence — de la conscience humaine collective.
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Après avoir traversé et expérimenté des structures et modèles différents, il m’est apparu clairement que les formats existants ne permettaient pas une transmission saine, juste et féconde du message que je porte.
• Le modèle des tariqas soufies classiques, auquel j’ai activement pris part durant la première décennie (2002–2012), s’est avéré trop étroit et dogmatique pour porter une vision universelle.
Il favorise souvent, malgré les intentions sincères, le culte de la personnalité, un certain sentimentalisme, et un déficit de développement rationnel. L’inconscient collectif forgé par la littérature, le jargon et les habitudes propres à ces milieux finit, à mon sens, par imposer des limites qui étouffent l’émergence d’une véritable culture de conscience et d’intentionnalité.
• Le modèle de da‘wa spirituelle inspiré par l’école de Hadramawt à Tarim m’est également familier. Son ambition est noble : réunir les trois fonctions prophétiques — ‘ilm, da‘wa et tazkiya — c’est-à-dire enseigner la science religieuse, appeler à la voie divine, et accompagner les âmes dans leur élévation.
Mais dans la pratique, j’ai observé une réalité préoccupante : la plupart des personnes impliquées dans ce modèle manquent de profondeur dans chacune de ces sphères, tout en cherchant à les embrasser toutes à la fois. L’une devient souvent la distraction de l’autre.
Le profil récurrent ? Une personne ayant des connaissances religieuses superficielles, mais une vénération disproportionnée du fiqh, qu’elle sacralise sans esprit critique. Pour elle, le fiqh n’est pas un outil rationnel ou un produit contextuel de l’intellect humain, mais une idole à suivre aveuglément.
Parallèlement, elle revendique un attachement au soufisme : elle assiste aux séances de dhikr, participe aux mawlid, visite les tombeaux, lit al-Ghazali… mais sans cadre méthodologique clair, sans véritable cheminement, et sans accompagnement réel au-delà du contact épisodique avec la main d’un Shaykh lors de grandes cérémonies.
Ce discours devient alors culpabilisant, centré sur la nostalgie d’un passé idéalisé et l’accumulation d’actes d’adoration : prières surérogatoires, jeûnes intensifs, longues litanies de dhikr. L’élève finit souvent écrasé sous le poids de ses insuffisances, dans un double mouvement : paralysie par culpabilité d’un côté, et relâchement presque hypocrite de l’autre — pour continuer à faire partie du “club”.
Ce modèle nourrit un cheminement égocentré, sans impact réel sur la société.
On ne parle jamais d’adopter un orphelin, de planter des arbres, de nettoyer un quartier comme actes de purification du cœur.
Les travers du premier modèle s’y retrouvent, sous une forme différente.
Dans les deux cas, les incohérences du message et l’incomplétude des méthodes produisent, inévitablement, des individus incohérents et incomplets : capables de discours enflammés sur l’amour divin, mais incapables de ne pas jeter une peau de banane devant leur frère…
Et quand certains souhaitent devenir da‘i, prêcheur, ils se lancent sans aucune formation psychologique, sans compréhension sociologique, sans étude des cultures qu’ils prétendent inviter. Le risque de tomber dans l’orgueil, l’ostentation, ou l’obsession de plaire devient presque inévitable dès lors qu’on prend la parole publiquement.
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C’est de la conjugaison de ces deux prises de conscience qu’est née une évidence :
Je dois innover. Inventer. Créer.
Faire l’alchimie de toutes les couleurs et connaissances que j’ai reçues, pour proposer une forme nouvelle, adaptée à notre époque. Une forme qui unit la profondeur intellectuelle à l’expérience spirituelle authentique.
Un espace où l’esprit critique est nourri par l’amour de la vérité.
Où le développement rationnel et le cheminement spirituel s’enrichissent mutuellement.
Je crois profondément que le véritable besoin de l’être humain aujourd’hui n’est pas de s’accrocher à des croyances rassurantes, ni de se réfugier dans une identité religieuse figée.
Même si la majorité semble chercher cela — ce n’est pas leur besoin fondamental.
C’est une fuite. Une fuite du Réel.
L’homme contemporain, s’il veut rester fidèle à sa quête, doit reconnaître qu’il a grandi. En conscience. En capacité. En possibilité.
Et cela, y compris — et surtout — dans le domaine spirituel.
Ce qui, autrefois, était réservé à une élite initiée, est aujourd’hui à la portée de tous.
Un jour, j’ai dit à mon Shaykh :
« Tel saint priait le Fajr en Tunisie et arrivait à ‘Arafat au coucher du soleil. »
Il m’a répondu :
« C’est à la portée de tout le monde aujourd’hui, n’est-ce pas ? »
Aujourd’hui je comprends.
Il parlait de l’évolution des capacités spirituelles de l’homme moderne.
Le développement rationnel et l’esprit critique ne sont pas des ennemis de la spiritualité — contrairement à ce que prétendent les antimodernistes.
Ils ont, au contraire, ouvert un nouvel espace à l’âme et lui ont offert de nouveaux horizons.
Il ne serait ni juste, ni respectueux, d’enseigner aujourd’hui avec les mots et les cadres médiévaux — dans un monde qui a connu Spinoza, Ibn ‘Arabi et Jung.
Ce serait trahir l’homme.
Et trahir Le Réel.
Le Hakîm - Le Sage.
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C’est pourquoi notre proposition, à travers Alchemya, est celle d’une alchimie :
Une alchimie entre le moderne et le prémoderne.
Entre le rationnel et le spirituel.
Entre l’homme et son propre cœur.
Entre les traditions, pour retrouver le Soi, l’unité de l’existence, le Tout et l’Un.