Sep 18, 2025

Quand la croyance devient une arme, l’humanité est la première victime.

L’esprit religieux, tel que je l’appelle, n’a jamais réellement évolué. Il ne se limite pas à ceux qui suivent une religion particulière. On le retrouve chez des croyants fervents, chez des athées, ou encore chez ceux qui ont rejeté toute religion. L’esprit religieux ne concerne pas la religion en tant que telle ; il désigne une manière de penser, un mode de fonctionnement.
Au cœur de cet esprit se trouve le partisanisme — une dynamique du type « croire et appartenir ». Parce que j’appartiens à ce groupe, je combattrai ses ennemis. Parce que je crois en cette vérité, je détruirai quiconque ne la partage pas. Les principes, l’éthique et la justice deviennent secondaires, voire sans importance. Ce qui compte, c’est « nous contre eux ».
Le processus suit une séquence implacable. D’abord, nous déshumanisons l’autre. Toute personne extérieure au groupe devient simplement « l’ennemi ». Ensuite, tous les moyens deviennent permis pour détruire cet ennemi. Tromper, mentir, trahir, falsifier les faits, exploiter les faiblesses — tout est autorisé au nom de la victoire. Même les enfants de l’ennemi peuvent être retournés contre lui. Enfin, la mémoire elle-même s’efface : les liens, les chemins partagés, les bonnes actions disparaissent dès que l’étiquette « ennemi » est collée.
 

La Poésie de l’Avertissement

Depuis l’enfance, j’entends un vers attribué à ʿAllāj, parfois à l’Imām ʿAlī :
« Si je dis ce en quoi je crois vraiment…
des hommes musulmans considéreront mon sang comme halal.
Ils verront mon sang comme licite à verser.
Et ils trouveront beaux les actes les plus laids qu’ils commettront contre moi. »
Tout est là : une fois que vous êtes désigné comme ennemi, même la cruauté se sanctifie. Les pires atrocités deviennent justes aux yeux de ceux convaincus de détenir la vérité.
 

Une Expérience Canadienne

 

J’ai vu cette dynamique de près en arrivant au Canada. J’ai rejoint un groupe de personnes dévouées — amoureux du Coran, chercheurs de vie spirituelle. Parmi eux, un homme donnait tout de lui-même. Il organisait des activités pour les enfants et les jeunes, montait des camps, mobilisait des familles, cherchait à introduire des idées adaptées au contexte canadien. Au début, tout le monde l’appréciait. Leurs enfants l’adoraient, leurs familles le respectaient.
Puis, soudainement, tout a basculé. On l’a étiqueté « l’Ikhwani infiltré ». Dans l’imaginaire soufi, être taxé d’« Ikhwani » — membre des Frères musulmans — est l’accusation la plus grave possible. Elle stoppe la réflexion, déclenche la peur, annihile la raison. En une nuit, l’ami, le frère, le serviteur est devenu « l’ennemi ».
L’étape une était accomplie : déshumanisation.
L’étape deux a suivi : réinterprétation. Tous ses bienfaits ont été recodés comme manipulation. Ses propositions d’adaptation sont devenues des tentatives de saper la ṭarīqa.
L’étape trois fut rapide : tous les moyens étaient permis.
Cet homme, nouvel arrivant sans même la citoyenneté canadienne, fut soudain dénoncé aux autorités comme « terroriste ». En quelques semaines, il fut expulsé — sa vie brisée, sa famille plongée dans l’incertitude, son enfant marqué par la tragédie. Dans le groupe, personne ne montra de remords. Personne ne demanda de preuve. Son avenir, peut-être anéanti pour toujours, fut balayé comme un détail nécessaire.
 

Étudier l’Esprit Religieux

 

Depuis ce jour, je me suis engagé à étudier l’esprit religieux — non comme une doctrine, mais comme une maladie humaine. Je me suis demandé : comment l’éviter ? Comment construire une manière de penser et de juger plus saine ?
J’ai défendu cet homme, car je n’avais vu chez lui que du bien, et aucune preuve contre lui. Pour cela, je suis devenu indésirable à mon tour. Mon refus de le condamner totalement m’a isolé. En quelques semaines, j’avais perdu tous mes amis. Mon rêve canadien a commencé dans la solitude.
Mais j’ai aussi compris une leçon : l’esprit religieux se répète partout, dans chaque groupe. Chaque fois, la même séquence revient : déshumanisation, réinterprétation, puis justification de la cruauté.
 

Instruments de Dieu ?

 

Quand j’ai osé questionner le chef du groupe, demandant si la punition n’était pas trop lourde, sa réponse m’a glacé. Il a dit :
« Puisque Dieu nous a inspirés à agir ainsi, puisque Dieu nous a donné la force de le faire, nous ne sommes que les instruments de Son plan. Dieu veut enseigner une leçon à cet homme. Parfois, les leçons passent par la souffrance. Une expulsion aujourd’hui vaut mieux que de poursuivre son sale travail et brûler en enfer pour l’éternité. Nous l’aidons à se repentir, nous l’aidons à atteindre le paradis. Nous l’aimons — et c’est notre manière de prendre soin de lui. »
Il cita des versets sur ceux qui croient tromper Dieu, affirmant que la ruse divine était toujours pour le bien. Autour de moi, des frères pleuraient d’émotion devant ses paroles. Aucun ne demanda de preuves. Aucun ne réclama un dialogue.
Et pourtant, quelques semaines plus tôt, ce même homme nous recevait dans sa maison. Sa femme cuisinait pour nous, sa famille nous accueillait. Tout cela disparut d’un coup. Il fut effacé, réduit à une menace, condamné sans procès.
 

Un Schéma Universel

L’homme de mon récit n’était pas un leader. Il fut seulement perçu comme un rival du leader. Mais la même logique a été appliquée à de véritables figures : l’Imām ʿAlī, l’Imām Ḥusayn, et bien d’autres. L’esprit religieux ne fait pas de distinction. Ce n’est pas une question de rôle ou de statut. C’est la maladie d’une façon de penser.
Et voilà l’essentiel : l’esprit religieux ne pense pas vraiment. Il n’engage ni la raison, ni la conscience, ni l’empathie. Il s’effondre dans une allégeance aveugle et une corruption morale. Il remplace la réflexion par des slogans, l’humanité par des étiquettes, et la justice par la loyauté partisane.

L’esprit religieux ne pense pas — il empeste.

 

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