Plus que quelques jours avant notre voyage en Turquie à la recherche de la présence de Rumi ! … Nous continuons à nous préparer à ce grand voyage en partageant avec vous, par la Grâce de Dieu, des articles issus de notre conférence du 11 novembre. Notre précédent article abordait la notion d’ivresse spirituelle. Si cette ivresse pousse le Maître des amoureux à partager ses secrets et à s’en repentir soixante-dix fois par jour, nous allons voir dans le présent article que la générosité de l’esprit ne s’arrête pas à cet élan de partage. En effet, si cette ivresse mohammadienne est avant tout une ivresse du cœur, il se trouve que le corps a sa part. C'est d’ailleurs la raison pour laquelle Rumi a créé cette danse des derviches, à faire tourner son corps… C'est également pourquoi il est possible de voir des choses avec les yeux physiques, pourquoi aussi le cœur biologique peut se mettre à battre si fort lorsqu’on vit des moments spirituels intenses avec son cœur spirituel... Et aussi pour cela que nous sommes invités à suivre un certain nombre de mouvements physiques lors de notre prière méditative que l'on appelle "salat" en arabe.
Un conte spirituel nous révèle la générosité de l’esprit
Il existe une histoire soufie qui illustre très bien cette notion. Il est dit qu’un bédouin poète s’est rendu auprès d'un sultan, d'un roi. Ce dernier a servi du vin à ses convives, et le poète, en saisissant la coupe, a tremblé et a renversé quelques gouttes de l'élixir sur le sol. Embarrassé, gêné de sa maladresse, il a pu se servir de ses dons de poète pour expliquer son geste et trouver une issue favorable.
Il s’est alors exprimé ainsi :
“Nous avons vu une boisson délicieuse, noble et généreuse au goût exquis qui fait s’épanouir l'âme, auprès d'une bonne et belle âme généreuse et délicieuse, et c'est de cette façon que les âmes des amoureux se raffinent et deviennent plus généreuses à leur tour. Nous avons bu et nous avons laissé échapper quelques gouttes sur la terre parce que nous avons emprunté un peu de générosité à celui qui a partagé sa boisson avec nous !”
En d’autres termes : le roi a partagé ce vin “pré-cieux” avec nous, nous qui sommes des pauvres qui ne pouvons nous procurer ce vin-là habituellement. Car nos quelques prières et litanies maladroitement récitées chaque jour ne nous permettent pas d'avoir accès à toute cette ivresse ! Ce bon et généreux sultan qui, quant à lui, y a accès, a bu et a eu la générosité de partager quelques coupes avec nous, pauvres que nous sommes. A nous de faire maintenant preuve de bienveillance et de générosité en laissant quelques gouttes sur la terre, parce que la terre aussi a sa part des coupes des généreux !
Cette histoire est devenue une sorte de slogan pour les soufis qui souhaitent justifier ce qui se passe dans le monde du corps et du décor lorsqu’ils n’arrivent plus à se contrôler... Pour eux, c’est également ce qui se produit lorsqu’un artiste produit une œuvre d’art, que ce soit une peinture, une musique, une architecture, un chant, une calligraphie… Il n’y a qu’à regarder certaines calligraphies, on y voit l’expression d’un cœur amoureux qui s'impatiente ! C’est le cœur, c’est l’âme qui veut exprimer sa beauté dans le monde du décor.
La beauté est quelque chose d'intérieur qui vient de l’Eternel, mais elle s'impatiente tellement qu’elle se manifeste dans ce monde éphémère, elle se projette quand même sur cet écran, sur ce papier canson.
Visionnez notre conférence à la rencontre des poèmes spirituels de Rumi ici :
La salat et les derviches
Ainsi, le monde du corps et du décor a sa part dans l’éternité, dans cette beauté éternelle, même s’il ne s’agit que de quelques gouttes… Et c’est ainsi que les mêmes soufis expliquent le pourquoi des mouvements dans la prière rituelle (salat).
En effet, puisque nos corps physiques sont composés d’eau et d'argile, on peut voir dans la notion de “terre” de cette histoire le symbole du corps, de la dimension terrestre de l’être humain. Ainsi, notre corps terrestre a sa part de la Coupe du Généreux : il est lui aussi invité au voyage…
Normalement, c'est le cœur qui prie ! La prière, comme la beauté que nous avons précédemment abordée, est une démarche intérieure… Alors, pourquoi cette danse ? Pourquoi cette chorégraphie faite d’inclinaisons, de prosternations, de stations debout ? Pourquoi cette harmonie des gestes recherchée lorsqu’on prie à plusieurs ? Pourquoi chercher à faire bouger nos corps et à synchroniser nos mouvements ?
Les hommes de spiritualité disent que nous prions avec le corps pour le faire profiter lui aussi du voyage. Il est notre monture dans cette vie, on ne peut décemment l’attacher et le laisser derrière nous ! Comme le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière, la force de son âme, son héritage spirituel et notre connexion à lui) qui, lors de la nuit de l'Ascension, a refusé de monter seul dans les cieux, lorsqu’il lui a été proposé de monter sans al-Bouraq. Il a dit : “Il m’a amené jusqu’ici, je ne vais pas le laisser seul !” Comme s’il lui disait : “Viens toi aussi al-Bouraq !”... Et comme s’il disait à notre corps “Viens toi aussi ! Ne sois pas juste un meuble dans ce monde de décor, prends part au voyage, toi aussi !”
C’est l'esprit, le roi très généreux, qui invite le corps à cette danse et à cette ivresse spirituelle. Cette générosité lui vient du fait qu’il est en permanence en train de boire auprès du Généreux… Le roi généreux connaît et reconnaît les généreux, et lorsqu’Il leur donne à boire, il souhaite en faire bénéficier tout le monde, même ces petits exilés que sont les membres physiques, comme les appelle Mawlana Rumi dans un autre poème. Il va leur donner un peu, ne serait-ce qu’une seule goutte… Goutte qui les a faits se lever, et devenir des danseurs, des derviches qui tournent et tournent sans cesse !
Toutes les informations sur notre voyage à Istanbul et à Konya ici
Retrouvez notre article précédent Rumi s'enivre et nous livre les secrets de l'expérience de l'amour
PROCHAIN SEJOUR D'ETUDE ET DE RESSOURCEMENT EN TURQUIE DU 19 AU 31 MAI 2023 !
