Religion, religiosité et humanité
Qu’entends-nous par “religion” ?
La religion (ad-dine) est la relation que nous devons développer avec Dieu. Elle est ce potentiel qu'a chaque être humain, de façon universelle, de connaître Dieu". Il s’agit de la raison pour laquelle Dieu nous a tous et toutes créés, et c’est là une Vérité Absolue, une Pure Grâce. On peut la voir comme une graine de lumière que Dieu a placée au fond de chaque cœur.
Chaque être humain est invité à honorer ce dépôt en lui à sa manière, en bâtissant sa propre religiosité : l’ensemble des actes que nous sommes amenés à faire en vue de vivre notre relation à Dieu (notre religion). Chacun va donc vivre cette Vérité absolue (religion) de manière relative (religiosité) qui va différer selon les personnes, les natures, les terrains (les terres des cœurs), les cultures et les civilisations.
En cela, on comprend que notre religiosité dépend de notre humanité, de tous les éléments qui nous composent dans ce monde de création. Et que, par voie de conséquence, entre religion absolue et religiosité relative se trouve notre humanité, le socle de notre personnalité.
L'humanité en premier
Le développement des qualités et valeurs humaines humaines doit donc nous préoccuper bien plus que notre religiosité, qui doit, pour remplir sa fonction, être mise au service de l’humain. La religiosité doit servir à nous aider à construire l’humain en nous, en faisant de nous de meilleures personnes, plus conscientes, plus présentes et plus réceptives à la Grâce de Dieu.
C’est en cela que tous les actes de religiosité doivent être perçus comme des exercices de développement de certaines réalités intérieures : développement de présence, d’humilité, de détachement du matériel, mais aussi de développement émotionnel, de développement d’amour, etc. Il ne s’agit que de développer en soi des réalités, des qualités, des valeurs qui permettront d’ouvrir les cœurs en vue d’honorer ce dépôt que Dieu nous a confié.
Les hommes honorent et vivent leur religion en fonction de leur degré de développement des valeurs humaines. C’est pourquoi il est dit que ceux qui étaient les meilleurs êtres humains avant l’islam vont devenir les meilleurs dans la religion.
Attention aux poids morts
En tant qu’être humain, nous sommes tous porteurs de deux choses : d’une force de vie qui ne demande qu’à germer et pousser dans la lumière, mais également d’une attraction vers la mort, un poids qui nous alourdit et nous tire vers le bas. C’est ce poids mort qui génère cette tendance humaine à vouloir échapper à la conscience et à vouloir tomber dans l’inconscience.
En ce qui concerne la religiosité, ce poids mort peut se manifester sous la forme d’un formalisme, de routines mortes, d'habitudes non conscientes. Et c’est comme cela que l’on transforme des actes qui devraient être des rituels sacrés transformateurs en routines vides, en formes sans fond, sans effet sur soi et sur sa personnalité.
Ces routines vides viennent piétiner et détruire ce potentiel de vie, y compris les petites germinations qui avaient commencé à se produire ci et là. On voit cela très souvent : une personne ressent quelque chose germer en elle les premières fois où elle s’engage dans un acte de religiosité (comme célébrer la prière de la matinée (salât ad-Doha), lire chaque jour des pages de Qor’an, venir prier à la mosquée ou célébrer le Mawlid par exemple). Mais si elle continue à “faire” ce même acte jour après jour, sans entretenir sa conscience de ce que cette action représente, cet acte finit par être une action morte, un poids mort.
La seule chose qui peut nous aider à sortir de cette lourdeur est l'intention. C’est l’intention qui va transformer ce poids mort de la routine en rituel conscient, en force de vie, en aide à la germination, qui va faire de ces mêmes actes des exercices de développement de posture, de valeurs, de réalités.
Pour aller plus loin, visionner notre vidéo Entre religion et religiosité, développe ton humanité
Par où commencer ?
Comment remédier à cette tendance ? Comment faire pour réorienter son intention, pour transformer nos routines vides en rituels vivants, en exercices qui vont nous développer et nous faire grandir en tant qu’être humain ?
Choisir la Voie du Bien Universel
Notre Bien-aimé Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui), le plus grand connaisseur de la nature humaine et des moyens à mettre en place pour la faire évoluer, nous a donné des solutions qui vont se trouver non pas dans les actes de religiosité, mais dans les comportements humains.
Conscient du fait que l’être humain peut s’attacher à effectuer des actes de religiosité sans conscience tout en oubliant et négligeant les autres aspects fondamentaux de son développement personnel et spirituel, il (que Dieu nous nourrisse de son amour et de sa lumière) a dit à nos maîtres, ses compagnons :
“Ne sous-estimez rien de Bien (al-ma'rouf), ne diminuez pas la valeur d’aucun acte de bien, même s'il ne s’agit que de donner un petit morceau de tissu à votre voisin pour qu’il puisse allonger la taille de sa corde, de vider de l’eau de votre seau dans le seau de la personne qui vient chercher de l’eau en même temps que vous, d’offrir un sourire à la personne qui se présente à vous, de tenir compagnie à quelqu’un qui est seul ou encore d’offrir un lacet à quelqu’un.”
Dans cette narration, on voit que notre Bien-aimé parle du Bien comme valeur absolue : le Bien qui sera reconnu de manière universelle par tous les êtres humains, quelle que soit leur religion ou leur culture. Car le bien, c’est une seule et même chose, c’est un seul corps. C’est le langage avec lequel on communique avec Dieu, la corde qui nous attache à Lui. Et ce bien unique peut se traduire en actes divers et multiples.
On voit également qu’il a donné des exemples concrets du quotidien, des actes banals et universels qui ne nous viennent pas forcément à l’esprit comme étant des actes de bien, mais qui le sont pourtant bel et bien. Bien entendu, ce sont des exemples de son propre quotidien de l’époque, dans cet espace géographique donné. A nous de faire un travail de traduction, non seulement de l’arabe au français, mais aussi de ce que peuvent représenter les équivalents de ces petits actes de gentillesse spontanée quotidiens pour notre temps.
Donner un morceau de tissu à quelqu’un pour rallonger sa corde pourrait se traduire tout simplement par le fait de prêter son câble de chargeur téléphonique à celui qui n’a plus de batterie. Le fait de remplir les seaux à la rivière peut se traduire par le fait de porter les packs d’eau ou de lait que portent nos voisins devant nos yeux, etc.
Caresse les cheveux d'un orphelin
Si les actes tels que la prière méditative ou le jeûne par exemple ont un potentiel illimité de nous faire croître, et de nous faire traverser des années-lumière dans le monde de la Conscience, ce potentiel se voit réduit à néant si on les effectue comme des routines vides et sans vie.
Ainsi, il nous faut commencer par ces petits gestes de bonté au quotidien qui vont venir déverrouiller quelque chose dans nos cœurs, car ce n’est qu’une fois nos cœurs ouverts que nous pourrons recevoir la Grâce et la Vie que Dieu donne dans chaque prière, dans chaque acte effectué avec conscience.
En ce sens, une personne est venue au Prophète (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui) et lui a dit : “je ne trouve pas la présence dans ma prière méditative (salât)”. En d’autres termes : ma prière, cette action qui est censée me faire grandir et me rapprocher de mon potentiel d’être un meilleur être humain, est comme morte.
Car la prière sert à cela, en réalité. Quand Dieu dit dans Sa Sainte Parole : “prosterne-toi et rapproche-toi” (S.96 - V.19), bien sûr, Il parle de se rapprocher de Lui, dans l’absolu. Mais à travers quoi ? C'est en se rapprochant de notre réalité humaine que l'on se rapproche de Lui. Si tu veux te rapprocher de Dieu, tu dois te rapprocher de toi-même, de ton plein potentiel, de cette réalité humaine, cette valeur à travers laquelle tu peux communiquer avec Lui. Et cette valeur se cultive notamment dans la prosternation, qui vise à nous rendre plus humbles, plus conscients, plus présents.
Et que lui a répondu le Messager de Dieu ? “Trouve un orphelin, et passe ta main dans ses cheveux”. Tout simplement. Un geste de bonté simple et facile à effectuer qui va, de l’extérieur, nourrir quelque chose à l’intérieur : la compassion, l’amour, le souci pour l’autre, toutes ces vertus et valeurs qui sont le potentiel de l’être humain accompli que l’on doit développer en son cœur pour pouvoir vivre une vraie prière et entrer en relation avec Dieu.
Nous devons devenir de meilleurs êtres humains
Tout le monde est concerné
Bien sûr, on peut imaginer que beaucoup ont dû lui poser cette même question, car il s’agit d’un chemin de développement par lequel les humains doivent passer. Tout le monde a en lui cette tendance à faire les choses de manière inconsciente. Tout le monde a en lui ce poids mort, cette tendance à basculer dans la routine vide, dans l'inconscience. Même les compagnons, qui étaient des gens bien vivants, ont dû passer par des étapes de croissance, ce qui a permis que ces enseignements prophétiques nous parviennent jusqu’à aujourd’hui.
Et on peut imaginer les réponses prophétiques : va nettoyer la mosquée. Rends service à ton voisin. Souris à ton épouse. Ramasse un déchet sur la route... Car ce sont ces actes de bonté ordinaire qui peuvent déverrouiller les blocages de nos cœurs et faire de nous de meilleurs êtres humains, et ce bien plus vite que ne peut le faire la prière rituelle ou la lecture du Qor’an.
Car si ces grandes actions que sont les actes de religiosité peuvent devenir des protocoles vides, il est plus difficile de réduire les actes de gentillesse à des formalités. Il y a moins de risques d’en faire des gestes morts, car il est difficile de se mentir à soi-même au quotidien. Soit tu es gentil, soit tu ne l’es pas. Soit tu as de la bonté en toi, soit tu n’en as pas. Et si tu t’en trouves dépourvu, alors commence quelque part. Maintenant. Prête ton chargeur à ton frère qui n’a plus de batterie. Porte les courses de ta voisine. Souris à tes parents et à tes enfants lorsque tu les vois. Trouve des petits actes, des petits gestes qui semblent anodins mais qui ont le pouvoir de débloquer ton cœur.
Nous vivons une époque de souffrance généralisée, c’est un fait. Et ce dont nous avons besoin pour améliorer cette condition actuelle de l'humanité, c’est que les êtres humains deviennent plus humains. Tout simplement. Car l’état de l’humanité ne va pas changer grâce aux grands et gros projets, mais grâce aux bonnes et belles personnes.
On trouve des humains qui ne trouvent pas la force d’être bons envers leur propre mère, leur propre père, leur conjoint. Parfois même envers leur propre enfant. Bien sûr, de nos jours, on couvre les enfants de matériel, on leur achète ce qu’ils veulent… Mais est-ce qu’on est vraiment bons envers eux ? Car il ne s’agit pas du matériel pour le matériel ici, on parle de la générosité d’âme, de faire de la place à l’autre, de chercher à lui faire du bien.
Dieu nous dit que “celui qui ne laisse pas son âme s’assécher est celui qui réussit”. Et qu’est-ce qu’une âme asséchée ? Il s’agit de l’âme morte, incapable de donner, de partager non seulement matériellement mais surtout d’elle-même : dire un gentil mot, donner un encouragement, une parole positive, un sourire. C’est l’âme qui ne souhaite pas le bien, qui n’a pas ce souci pour les autres, qui est autocentrée, auto-absorbée.
Que Dieu nous permette d’arroser nos âmes, même si c’est au goutte à goutte à travers ces petites gouttes de petits gestes de bonté distribués ci et là.
En quête de l'humain par excellence
Il est dit que le Jour des Révélations, le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui) attendra sa communauté au bord d’un bassin, et qu’il offrira à boire de sa main bénie à ceux qui ont suivi sa lumière durant leur passage sur terre. Et ce n’est qu’après avoir bu que les gens connectés à la lumière de Mohammed pourront vivre au Paradis, comme un logiciel d’entrée obligatoire qui permet une fois absorbé de savourer les délices de la Vie Eternelle.
Ce bassin est une manifestation de la Générosité Divine qui prendra ce Jour-là une forme particulière, celle d’un point d’eau. Mais dans notre dimension d’existence d’aujourd’hui, cette Générosité s’exprime différemment, sous une toute autre forme qui n’est autre que celle de la personnalité (akhlaq) et de l’humanité (insaniya) du Prophète Mohammed. A nous de chercher à boire de ce bassin-là ici-bas, si nous souhaitons nous abreuver de son bassin le Jour des Comptes, et pour l'Éternité.
Par humanité, il est important de préciser de quoi nous parlons. En arabe, il existe deux mots qui parlent de la condition humaine : le mot “bachariya” qui désigne la faiblesse humaine, le côté physique et éphémère, et le mot “insaniya” qui renvoie à la grandeur humaine, aux valeurs universelles.
De nos jours, les gens se concentrent beaucoup sur l’homme historique qu’était le Prophète Mohammed, à son passage sur terre en tant qu’être humain qui a vécu 63 années. On entend répéter sans cesse “il n’est qu’un être humain”, non pas comme un appel à comprendre ce que cela signifie, mais souvent pour rabaisser son statut et sa fonction dans nos vies... Comme si on voulait le renvoyer au côté éphémère de son passage sur terre, à sa "bachariya".
Alors que le Prophète était un humain, oui, mais un Humain avec un grand H. L'Humain qui était porteur d’un secret spirituel qui dépasse toute chose créée, l'Humain qui a vécu l’accomplissement le plus complet. L'Humain qui a donné ses lettres de noblesse à cette humanité que nous devons développer, cultiver, en nous abreuvant de sa présence, en marchant dans ses pas de conscience. En commençant par ces simples et humbles gestes de bonté et de générosité qu’il est venu nous enseigner.
Article issu du Sermon de la Grande Assemblée du Vendredi 26 Novembre 2021 donné en anglais à La mosquée Rhoda à Ottawa.