Méditation à l'occasion de la nouvelle année hégirienne 1444

mouharram rationnel se développer en tant qu'être humain vivre en harmonie avec le divin Jul 30, 2022

 Dieu a créé le cosmos en rythmant le temps par différentes alternances. Ainsi, nos jours, nos mois, nos années se basent sur l’évolution de la terre autour du soleil ou de la lune autour de la terre. Ces phénomènes nous semblent tout à fait normaux, car nous n’avons connu que cela en tant qu’êtres humains, pourtant, Dieu aurait pu créer tout cet univers de façon très différente.

En effet, Dieu n’a rien créé par besoin, Il n’était soumis à aucune contrainte, ni à aucune règle à suivre. Nous savons bien aujourd'hui, avec les avancées scientifiques, qu’en réalité, le nombre de potentialités pour lesquelles qu’Il aurait pu opter est tout simplement illimité. Il aurait pu créer un jour permanent ou une nuit perpétuelle, mais il en a décidé autrement. Il aurait pu ne pas faire que le temps soit sous forme de cycle, mais Il en a décidé ainsi : les jours commencent, finissent et laissent place à la nuit qui elle-même, commence, finit et laisse place au jour suivant. Il en va de même pour les mois, les années.

Il faut donc voir dans cette situation le Choix Divin, et chercher dans ce cosmos dans lequel nous évoluons, le sens, la raison d’être, le pourquoi de ce Choix.  En effet, dans tout ce que Dieu crée, il y a une raison, un but, quelque chose que notre intelligence peut lire, quelque chose que notre mental peut percevoir et auquel notre rationnel peut se relier. Essayons de comprendre certaines de ces raisons en étudiant Sa Sainte Parole.




SOURATE AN-NAHL (16)

Dans la sourate an-Nahl (S.16 - V.12), Dieu dit : 



وَسَخَّرَ لَكُمُ ٱلَّيْلَ وَٱلنَّهَارَ وَٱلشَّمْسَ وَٱلْقَمَرَ ۖ وَٱلنُّجُومُ مُسَخَّرَٰتٌۢ بِأَمْرِهِۦٓ ۗ إِنَّ فِى ذَٰلِكَ لَـَٔايَـٰتٍۢ لِّقَوْمٍۢ يَعْقِلُونَ 



“Et il a assujetti pour vous la nuit et le jour, le soleil et la lune. Et à Son ordre sont assujetties les étoiles, ce sont là des signes pour les gens qui “ya’qiloune”. 



Lorsque Dieu parle du jour et de la nuit, on peut y voir une référence à nos journées qui passent dans cette alternance-là. Lorsqu’il évoque le soleil et la lune, on peut y voir une référence à l’alternance des mois et des années, car quel que soit le calendrier que l’on suit, tous nos mois sont liés aux mouvements de la lune autour de la terre, ou de la terre autour du soleil. A noter que certes, nous savons que c’est la terre qui tourne autour du soleil, cependant, dans la perception humaine, il semble que ce soit le soleil qui bouge dans le ciel, et ainsi que les mois, années et saisons sont liées aux mouvements du soleil que l’homme constate autour de lui et qui impactent son environnement. Quant à la mention des étoiles, on peut y voir une référence, entre autres, aux directions, car on sait que longtemps, les hommes ont utilisé les étoiles pour se repérer et voyager. A noter que les étoiles renvoient également de manière symbolique aux hommes de Dieu, aux repères que nous devons suivre pour emprunter le Chemin qui mène à Dieu.


Ici, j’ai volontairement fait le choix de ne pas traduire le terme “ya’qiloune”, car il mérite que l’on s’y arrête un instant. En effet, Dieu choisit très bien Ses Mots, et si d’autres termes sont employés dans le même procédé dans la Parole Sacrée (yatafakkaroune, ya’lamoune…), ici Dieu a choisi “ya’qiloune”, qui est le verbe dérivé du terme “‘aql”, que nous traduisons par “la raison”, conjugué à la troisième personne du pluriel. Dieu nous dit donc que toute cette alternance de jour et de nuit, de mois et d’années qu’Il a créée va servir de signe aux personnes qui font appel à leur intelligence rationnelle. 



LE RÔLE DE LA RAISON

Dans les faits, la raison est ce qui nous permet de décrypter ce qui se passe en nous et autour de nous. C’est ce travail qui nous permet de nous ancrer, de nous attacher, de faire pousser des racines en profondeur face au tourbillon du mental. 

En effet, notre mental est sans cesse en train de s’agiter, de tourner, d’amener de nouvelles pensées, sentiments, impressions…  De combien de pensées, d’impressions et de ressentis notre mental est-il bombardé par seconde ? On ne peut les compter. C’est ce que l’on appelle en arabe “khawatir” : le flot incessant des pensées, des impressions, des ressentis, ce mental qui ne s’arrête jamais et qui file à très grande vitesse. C’est là une chose naturelle qui fait partie de la condition humaine dont le Prophète a parlé car cela posait déjà problème à son époque, pour ses compagnons, mais qui est d’autant plus accentuée de nos jours, avec tout ce à quoi nous sommes désormais exposés : images, téléphones, ordinateurs, publicités, etc. Tout ce contexte nous a rendu très vulnérables face à ce problème, et il n’y a qu’une solution pour pouvoir reprendre le contrôle : ralentir, prendre le temps, analyser, et digérer. C’est là le rôle du rationnel.

En effet, si l’on n’y prend pas garde, si on laisse le mental en roue libre, on se trouvera dans le jugement de l’autre ou de telle ou telle situation à la première impression, au premier ressenti que l’on en a. On voit d’ailleurs ce phénomène de manière exacerbée dans certaines maladies mentales comme la schizophrénie, où la personne subit une avalanche de pensées et d'impressions mentales à très grande vitesse, sans pouvoir faire appel à la raison pour calmer, apaiser, digérer, faire la part des choses. Sans aller aussi loin que ces cas extrêmes, nous avons tous besoin de traiter et analyser nos pensées, nos ressentis et nos sentiments. 

Le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière, la force de son âme, son héritage spirituel ainsi que notre connexion à lui) nous a enseigné : 

 

“Si une pensée, une inspiration, un sentiment ou une idée te vient : ralentis, analyse, fais ce travail de digestion et compte entièrement sur Dieu.”

 

Certes, tu dois reposer entièrement sur Dieu au final, mais tu as d’abord un travail à faire. Ne saute pas vers la conclusion, ne laisse pas une idée qui bombarde ton mental devenir un projet comme ça, sans prendre le temps de préciser les choses, de faire le tri. Si tu es sûr de quelque chose, demande-toi : où est la preuve ? Où sont les faits ? Ne laisse pas une impression devenir un jugement, comme ça, sans fondement réel, en l’espace d’un instant… 

Une envie te prend, comme celle de frapper quelqu’un, de balancer ses quatre vérités à ton interlocuteur, de claquer la porte et de ne jamais te retourner…? C’est une envie qui peut parfois être très forte, un ressenti très puissant… La question est : vas-tu donner l’autorisation à ce sentiment, à cette envie passagère, de devenir une émotion ? En sachant que la signification scientifique de “émotion” veut dire “moteur”, “motivation”, ce qui met ton coeur en mouvement, et aboutit à une action. C’est en cela que nous sommes tous des gens émotionnels, car il n’y a pas d’acte sans émotion, sans un mouvement intérieur, sans le moteur à l’intérieur qui pousse à agir dans telle ou telle direction. 

Vas-tu donc laisser ce sentiment, cette impulsion devenir une émotion sans prendre le temps de l’analyser, de le passer au filtre de ce processeur que Dieu nous a donné nommé raison ? A combien de conclusions erronées ton mental te mènera en l’espace d’un instant si tu le laisses mener la danse ? Combien de relations va-t-il te pousser à détruire, juste par manque de démarche rationnelle ? 

 

 

La raison est là pour nous permettre de sortir de ce chahut intérieur, de ralentir pour prendre le temps d’analyser, de digérer les choses, de les passer au tamis. Ainsi, nous pouvons comprendre l’Invitation Divine dans ce verset : Dieu a choisi de nous faire vivre dans cet univers et sur cette terre où la vie est rythmée par un certain nombre d’alternance. Ainsi, être humain, profite de ce passage à une nouvelle année, connecte-toi à ce mouvement cosmique, et ralentis. Vois ce moment comme une opportunité, et donne à cette opportunité une chance ! Pose-toi et fais le bilan. 

Au quotidien également, chaque jour, vois cette alternance devant tes yeux et connecte-la à Celui qui l’a décrétée. Quand vient le soir, prends un moment, assieds-toi, et fais le point. Analyse tes pensées et ressentis du jour, observe-les, et passe les dans le filtre de ton rationnel. Et lorsque vient le petit matin, fais de même. Accorde-toi ces temps nécessaires pour faire partie de ceux qui “ya’qiloun” : ceux qui utilisent leur raison, qui prennent le temps de digérer et de faire le tri dans leurs pensées et ressentis. Prends des précautions, ralentis, remets-toi en question. D'ailleurs, en ce sens, le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière, la force de son âme, son héritage spirituel ainsi que notre connexion à lui)  a dit : 

“Celui qui prend soin de ces deux moments que sont le lever et le coucher du soleil, je lui garantis une place au paradis”. 

 

Comment peut-on prendre soin de ces deux moments ? En s’accordant un moment d’introspection, de réelle observation intérieure et de dialogue avec son Créateur. En ralentissant et analysant nos sentiments avant qu’ils deviennent jugements, et nos pensées avant qu’elles ne deviennent des certitudes erronées, des mauvaises croyances, des dogmes. 



VOUS AVEZ 12 HEURES !

Une autre sagesse prophétique nous apprend que les péchés commis durant le jour ne sont pas écrits avant que la nuit suivante soit finie, et les péchés commis durant la nuit ne sont pas écrits avant que le jour qui suit arrive à sa fin, avant que le soleil ne se couche. Ainsi, nous avons en moyenne douze heures après un péché pour nous repentir, ce qui revient à quoi dans les faits ? A faire ce travail d’analyse, de tri. 

Cela nous permet de déduire que ce n’est pas l’action en elle-même le problème. Ce qui est est fait est fait, on ne peut revenir dans le passé, changer nos choix, nos agissements ni le cours des choses. Ce texte que l’on a malencontreusement écrit devient désormais notre contexte. L’action faite dans un court instant parfois aura ses conséquences dans le monde cosmique, et on ne peut plus rien y faire, ce n’est plus entre nos mains. En revanche, nous avons toujours la main sur notre propre livre, le livre avec lequel nous nous présenterons devant Dieu, et ceci à travers nos pensées et ressentis, et pour cela, Dieu nous donne du temps. 

Tu as commis une mauvaise action, un péché ? Tu ne peux pas revenir en arrière, certes, mais ce n’est pas fini pour autant. Ce qui compte maintenant, c’est la pensée et le ressenti que tu auras au sujet de cet acte. C’est donc l’impact de ce péché sur toi, en toi. 

Tu peux commettre la pire des actions, mais si après ça, la pensée et le sentiment qui te viennent sont ceux du repentir, alors c’est une grâce, c’est cela que l’on appelle “tawba”, le fait de prendre conscience de ses fautes et manquements et de prendre le chemin du retour vers Dieu en toute humilité. Si tu regrettes de façon saine, de manière prophétique, en te rendant humble, en te tournant vers Dieu avec un désir de ne plus jamais recommencer, Dieu sera là, avec toi, et Il t’ouvrira la porte de Son Amour, de Sa Proximité. Si au contraire, ce qui te vient est un sentiment de satisfaction avec l’intention de recommencer dès que l’occasion se présentera, ou alors que tu regrettes ton acte d’une façon égotique (car ce dernier te renvoie une image douloureuse de toi-même et non pas par désir de la Proximité Divine), alors là, c’est un vrai problème… 

Ainsi, il nous faut prendre ces moments (fin d’année, fin de mois, lever du soleil, coucher du soleil, etc) comme des signes (ayat), des momentums, des moments très importants dans les vies de ceux qui veulent prendre le temps de comprendre ce qui se passe en eux, et qui veulent analyser leurs ressentis avant qu’ils ne deviennent des jugements et des condamnations, et qui veulent traiter leurs pensées avant qu’elles ne deviennent des certitudes dans le mauvais sens du terme. 




SOURATE AR-RA'D

Dans la 13ème sourate du Qor’an, Dieu nous donne un autre secret, une autre raison pour laquelle Il a décrété que nos existences seraient rythmées par ces alternances. Dans le deuxième verset, Il nous dit : 



… وَسَخَّرَ ٱلشَّمْسَ وَٱلْقَمَرَ ۖ كُلٌّۭ يَجْرِى لِأَجَلٍۢ مُّسَمًّۭى ۚ يُدَبِّرُ ٱلْأَمْرَ يُفَصِّلُ ٱلْءَايَٰتِ لَعَلَّكُم بِلِقَآءِ رَبِّكُمْ تُوقِنُونَ

 

“…Il a assujetti le soleil et la lune, chacun  poursuivant sa course avec sa date de fin, son moment de retour déjà décrété. Il règle l'Ordre de toute chose et expose en détail les signes afin de développer en vous une foi inébranlable et une connaissance claire comme de l’eau de roche (tou’qinoune) au sujet de la Rencontre de votre Seigneur.”



On remarque qu’en effet Dieu a créé cette alternance, mais aussi cette notion de cycle, de choses qui viennent à leur fin pour recommencer à nouveau. Il l’a fait, nous l’avons vu dans la première partie de cet article, pour que nous puissions finir et démarrer un nouveau cycle nous aussi en quelque sorte : ralentir, réfléchir, digérer, pour revenir avec un positionnement neuf sur les choses. Il nous donne ici une autre raison d’être, un autre but : afin de de développer notre “yaqin” non pas simplement dans l'existence de Dieu, mais plus encore que cela : dans le fait que l’on va Le rencontrer pour sûr.

 

 

 

 

J’ai choisi de traduire le verbe “tou’qinoune”, dérivé du mot “yaqin” par “développer en vous une foi inébranlable, une connaissance claire comme de l’eau de roche”, bien que souvent, vous trouverez dans la majorité des traductions sur le marché “yaqin” traduit par “certitude”. A mon sens, c’est une erreur de traduction, une erreur de compréhension des termes, de la même manière que je refuse de traduire “imane” par "croyance". 

La certitude comme la croyance viennent toutes deux de la tête et du mental en tout premier lieu. Il suffit de nourrir ce en quoi on croit par des dogmes pour obtenir une certitude à la fin. En ce sens, chacun a son système de croyance, ses certitudes… D’ailleurs, nombre d'entre nous avons des certitudes complètement délirantes, voire stupides…

On ne peut réduire la religion à la croyance. Ce n’est pas dans la tête, c'est bien plus profond que cela et concerne, engage tout ton être, toute ton âme (qalb). Il ne s’agit donc pas de croire mais plutôt de savoir, de voir la Vérité claire comme de l’eau de roche. Que la Vérité soit claire dans ton cœur, sans rencontrer aucun problème en toi, non pas comme une certitude dogmatique que tu dois te forcer d’accepter.

Ces alternances, ces deadlines, ces recommencements d’années, sont donc des outils pour toi si tu veux développer ta foi pure et claire en Dieu et dans la Rencontre surtout, car tu peux voir avec tes yeux physiques que tout touche à sa fin à un moment, chaque chose a une deadline . Et que ta vie aussi, touchera un jour à sa fin… Ce jour-là, tu seras toi-même recyclé, et cette fin de cycle sur terre ne sera pas la fin pour toi, mais peut-être, le jour de la Rencontre… 

Certes, on se sent triste lorsqu’on pense au départ de nos enseignants en cette fin d’année 1443… Je pense notamment à Shaykh Abu Bakr al Adani par exemple… Quel signe pour ce grand homme que de mourir à la fin d’un cycle, lui dont toute l'œuvre parle des événements qui reviennent de manière cyclique et de leurs significations (nouvelle année, mawlid, aïd, joumou’a…). Il était investi dans cette science qui consiste à savoir autour de quoi les choses tournent et comprendre quelle leçon Dieu veut nous donner quand les choses bougent. Dieu a choisi de l’appeler en cette fin d’année, et a fait que son enterrement ait lieu un vendredi, dernier jour de l’année… 

Certes, nous sommes tristes de le quitter, de le voir partir, lui comme les autres enseignants qui nous ont quittés récemment. Mais en y pensant bien, pour lui, c’est son jour de fête… Seuls les criminels redoutent ce jour en réalité, car eux ne comparaîtront pas devant leur Bien-aimé, mais devant leur Juge. Alors que pour les Hommes de Dieu, il s'agit du jour de la Rencontre tant espérée, le Jour où l’amoureux va enfin rencontrer son Bien-aimé…

Que Dieu fasse de nous des amoureux en attente du jour de la Rencontre. Amine. 

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