Tolérance zéro - Partie 2

art/adab/ihsan cultiver l'art de la compagnie se développer en tant qu'être humain May 02, 2021

Suite de la première partie de l’article Tolérance Zéro.

 

“Les personnages publics se mettent en avant, ils devraient donc s’attendre à ce que les gens parlent d’eux de toutes sortes de manières”. Cette affirmation est tout simplement fausse. Peut-être est-elle vraie pour des sociétés séculaires modernes, mais elle ne l’est pas pour des musulmans. Pour les musulmans, ce genre de position n’a jamais été et ne doit jamais être acceptable. A l’opposé de la tendance de notre époque, nos ancêtres avaient une peur immense de dire quoi que ce soit de négatif au sujet d’une personne qui travaille et s’investit publiquement dans le service de Dieu.

Lorsqu’une personne s'expose pour se mettre au service de sa communauté, elle choisit de servir au-delà de sa propre famille et doit mériter plus de compassion qu’une personne lambda, tout simplement parce qu’elle fait ce que la majorité des gens ne font pas. Certes, cet orateur, ce leader ou cet enseignant peut ne pas être parfait, mais cela ne justifie pas les critiques amères, la diffamation ni cette mission que certains se sont auto-attribuée de vouloir mettre les autres en garde au sujet du contenu de ces enseignements.

Puisque cette personne est déjà présente sur la scène publique, laissez le public découvrir ses enseignements. Laissez chacun décider du message qui fait sens pour lui ou non. Mais, par dessus tout, ne venez pas rajouter de l’opacité dans ce grand brouillard de paranoïa, en utilisant des mots comme "mal guidé", "égaré", "déviance" et "innovation". Ce sont des accusations énormes.

 

A l’opposé de la tendance de notre époque, nos ancêtres avaient une peur immense de dire quoi que ce soit de négatif au sujet d’une personne qui travaille et s’investit publiquement dans le service de Dieu.

 

Rappelez-vous que vous serez questionné un jour et il vous sera demandé si vous connaissiez vraiment la personne que vous avez diffamée, si vous compreniez vraiment la situation dans laquelle elle se trouvait à ce moment-là, et aussi si vous aviez été investi d’une autorité quelconque qui aurait pu légitimer que vous parliez de cette manière d’un de vos frères musulmans.

Il faut savoir que dans le passé, lorsque les personnes détentrices de l’autorité religieuse étaient parfois amenées à prendre ce genre de position contre quelqu’un, elles le faisaient sans plaisir ni joie. La facilité de commenter toute publication et la toxicité des réseaux sociaux vous ont-elles leurré au point que vous en oubliez que vos mots ont un poids et des conséquences ?

Rappelez-vous que les règles au sujet de la médisance sont les mêmes pour tous, que la personne visée soit une personne lambda ou une personne connue. Il est important de préciser ce point, car il semblerait que plusieurs musulmans (qui pourtant savent qu’il est inacceptable de médire sur une personne de leur entourage) pensent que parler mal d’un enseignant serait légitime car les enseignants feraient partie d’une différente catégorie d’individus et que par conséquent, leur chair morte serait comestible, voire même délicieuse.

Ce phénomène tire peut-être ses sources dans le phénomène culturel de "Rate my teacher", un site Internet qui encourage les gens à donner leur opinion de leurs professeurs, dans l’objectif supposé d’aider les futurs étudiants à faire les bons choix dans leur cursus et à éviter les mauvais professeurs.

On trouve toutefois sur ce site que le même enseignant peut être décrit par certains élèves comme un professeur exceptionnel alors que d’autres le dépeignent en très mauvais pédagogue. On est donc amené à se demander si cette description n’est pas purement subjective et ne dépend pas seulement de la note que chaque élève a obtenue dans son cours…

De la même manière, ceux qui critiquent les imams et autres leaders communautaires veulent soulager leur conscience en prétendant aider les autres, en mettant en avant la nécessité de les mettre en garde afin d’éviter qu’ils ne prennent une mauvaise voie. Pourtant, en Islam, parler d’une telle manière d’un enseignant EST de la médisance et sachez que vous DEVREZ rendre des comptes à Dieu.

Al-Hafidh ibn Asaakir (que Dieu nous connecte à son héritage) a dit : “Mon frère, que Dieu t’accorde et nous accorde la grâce Divine de gagner Son Contentement, et qu’Il fasse de nous des gens qui vénèrent Sa Présence et qui sont conscients de Lui, comme Il le mérite. Je partage avec toi ce savoir : sache que la chair des savants, que Dieu les bénisse, est empoisonnée, et il est bien connu que ceux qui parlent en mal des savants se voient dénués de toute intimité et de toute vie privée. Leurs péchés sont exposés et ils se font humilier devant tout le monde”.

 

LES ARGUMENTS DE CEUX QUI CROIENT QUE PARLER SUR LES SAVANTS EST LEGITIME 

Ceux qui critiquent et condamnent les savants utilisent souvent une citation d’Al-Hassan al-Basri pour légitimer ce qu’ils font : “ce n’est pas de la médisance de dénoncer ou d’avertir les gens au sujet d’un innovateur ou d’un pécheur lorsque son mauvais comportement est connu”. Cependant, cette phrase de l’Imam ne vous donne aucunement le droit de rapporter les dires d’autres personnes qui accuseraient un enseignant d’être un innovateur ou un pécheur. Au contraire, vous n’êtes autorisé à dénoncer que ce dont vous avez vous-même témoigné.

Aussi, cette phrase ne vous donne pas le droit d’aller plus loin que l’acte spécifique dont vous avez témoigné. Vous n’êtes autorisé à parler que de ce dernier en réalité : il faut donner l’exemple de l’innovation ou du péché que l’on a vu de ses propres yeux. Puis cela s’arrête là, il n’est pas permis d’utiliser cet incident pour assigner une étiquette ou une identité figée à la personne en question, et encore moins de se permettre d’émettre un diagnostic ou une accusation à son sujet.

Par exemple, les gens aujourd’hui, par ignorance, considèrent que toute l’école du Soufisme (Tasawwuf) est une innovation. Or, ce n’est pas ce que Hassan el-Basri a encouragé, ni permis. On ne peut s’attaquer à une école entière et la taxer d’innovation. Le motif d’innovation auquel on se réfère doit être spécifique : il faut être très précis dans sa description et prendre soin de ne pas céder à la tentation exagérer, de généraliser ou de passer sous silence un contexte important qui pourrait permettre d’expliquer les faits.

Par ailleurs, la permission de parler d’un incident spécifique qui vous donne un cas de conscience ne vous donnera jamais le droit d’insulter la personne ou de dire n’importe quoi à son sujet. Au final, comprenez que ce n’est pas votre rôle de mettre les gens en garde. Al-Hasan al-Basri s’adresse ici à des savants et non au tout-venant, à la société civile.

Lorsque des autorités émettent une opinion sur une personne dans le but d’avertir les autres, ce n’est pas par désir de critiquer la personne, mais par devoir en tant que personne de savoir qui sait identifier le mal d’une situation et protéger ceux qui pourraient donnent naïvement leur confiance à ces figures publiques. Les savants qui mettent en garde la société civile ont assez de discipline et de bonnes manières pour ne pas dépasser les limites. Ils ne diront que ce qui a besoin d’être dit, et ne se livreront pas à de la médisance outrageuse.

Ainsi, si vous faites partie de la société civile (et cela inclut toute personne qui n’est pas en position d’autorité) et que vous avez vraiment peur qu’un personnage public nuise à d’autres personnes, alors il vous faut aller voir une personne d’autorité, lui faire part de vos inquiétudes et la laisser gérer la situation. Et une fois que cela est fait, tranquillisez-vous, car vous venez de confier ce souci à une personne pour qui agir dans l’intérêt public et collectif est une obligation.

Le deuxième argument qu’utilisent ceux qui légitiment la médisance est la parole d’al-Harawi (que Dieu nous connecte à lui et à son héritage) : “Je ne resterai jamais silencieux. Si j’ai une opinion qui diffère de celle d’un autre savant, je dois exprimer mon opinion”. Ceux qui ont ce désir ardent de médisance comprennent de cette parole que si une personne est d’une différente école de pensée qu’eux, ils ont droit de parler d’elle de manière négative et ce en toutes circonstances. On voit encore une fois qu’il s’agit d’une mauvaise utilisation de la parole d’un savant, car dans ce cas, al-Harawi parle de sa responsabilité en tant que savant de partager ses opinions, sans craindre qu’elles soient trop en contraste ou différentes des autres opinions. Cette parole n’inclut donc pas, et encourage encore moins, en réalité, toute forme de médisance ou attaques personnelles.

 

RATE MY TEACHER / EVALUER MON ENSEIGNANT

Si évaluer et juger vos enseignants spirituels est devenu un exercice auquel vous vous livrez de manière régulière, si vous les critiquez et les jaugez pour tout et pour rien, alors ne vous demandez pas pourquoi vous ne parvenez pas à adoucir votre cœur et ne cherchez pas trop loin la raison pour laquelle vous n’êtes pas capables de bénéficier de leurs enseignements. Car la réponse se trouve devant vos yeux : vous avez tout simplement détruit votre capacité à voir une personne telle qu’elle est, sans la juger ni la critiquer. Cette habitude à la critique devient l’outil avec lequel satan va essayer de ruiner votre capacité à recevoir la guidance en salissant l’eau claire de l’élévation spirituelle en vous afin que vous ne puissiez plus en boire. 

De plus, par cette pratique régulière, vous vous empêchez de voir un enseignant comme votre enseignant, comme votre guide, à voir en cet enseignant une personne en qui vous pouvez avoir confiance et qui peut vous aider dans votre cheminement spirituel.

En réalité, c’est à cause de vos propres péchés et manquements que vous subissez cette privation spirituelle. Si vous continuez, Dieu vous privera de la douceur d’avoir un enseignant qui vous renvoie la Vérité, de l’ouverture du cœur qui vous permettra d’apprécier et d’aimer ses conseils ainsi que de la Grâce et du Succès Divins (tawfiq) de pouvoir les suivre et les appliquer. Vous pouvez continuer à dire que c’est la faute des enseignants, qu’ils ne pas méritent votre amour et votre confiance car ils ne sont pas assez pieux et assez savants pour pouvoir guider quiconque. Mais c’est en fait de votre faute, car vous avez pris l’habitude d’être critique envers eux et de répandre votre attitude négative contre ceux qui servent Dieu. Et au final, c’est votre propre poison que vous êtes en train de subir.

“ Tout d’un musulman est sacrosaint* pour un autre musulman : son sang, sa propriété et son honneur.” – Le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui)

 

LE SILENCE EN DIT LONG

Si une personne vous parle en mal d’un prêcheur ou d’un enseignant, votre obligation religieuse est de défendre cet enseignant même si vous ne le connaissez pas.

Que dire alors du cas où non seulement vous le connaissez, et qu’en plus vous ne savez que du bien de lui ? Hélas, le manque de courage et de vertu est devenu si commun de nos jours, que même lorsque nous avons reçu une éducation auprès d’un enseignant, écouté ses enseignements et aimé ce qu’il a dit, nous restons silencieux lorsqu’il est critiqué et dénigré en notre présence. Et on trouve cela difficile de prendre la parole et de le défendre, prétextant de ne pas vouloir nourrir le problème (fitna) en répondant.

On ne réalise pas qu’en réalité, notre silence le renforce et ajoute encore plus d’huile sur le feu. Tout simplement parce que silence est approbation. C’est bien connu, “qui ne dit mot, consent”. Alors qu’en tant que croyants, on se doit d’avoir un minimum d’intégrité, au moins égal à au niveau de celui des servantes d’Égypte, qui, lorsqu’on leur a parlé de l’accusation du Prophète Joseph (que Dieu continue de nourrir son être et notre connexion à lui), ont dit : “Nous n’avons subi aucun mal de lui, c’est tout ce que nous savons”. En disant seulement que vous ne savez rien de mal d’une personne, vous êtes en train de donner une information constructive qui compte, et il s’agit d’un début de défense. Alors que le silence est perçu comme une approbation et une confirmation de l’accusation.

 

"Dieu dit : Ne retenez pas votre témoignage en restant silencieux. Faites savoir à quiconque qui agit comme cela qu’il a fait un grand mal à son cœur, et Dieu sait tout ce que vous faites". (Qor’an : S.2 -V.283)

 

Le Seigneur a interdit le silence pour quiconque est en capacité de témoigner. Ceci pour la même raison qu’il a interdit le faux témoignage : car ces deux actions empêchent la vérité d’être connue et de prendre le dessus sur le faux (Fath al Bari dans l’Explication de Sahih al Bukhari).

Pour ce qui est de situations graves qui se produisent sur la scène publique, où une personne publique commet un mal quelconque, ce n’est l’affaire que des quelques personnes qui ont été affectées et impliquées, incluant les autorités. Cela ne doit jamais devenir de la nourriture pour vos jeux, pour vos intérêts personnels, ou pour commencer un débat sur Facebook. “Il relève du raffinement et de l’art de vivre de l’Islam qu’une personne délaisse ce qui ne la concerne pas”, comme nous l’a appris notre Bien-aimé Prophète (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui).

Résistez à l’envie de faire des recherches Internet sans fin pour savoir ce qui s’est passé et pour découvrir la “vérité”. Car ce n’est pas de cette façon que l’on trouve vraiment la vérité, et personne ne vous a demandé de jouer ce rôle-là de toute façon ! Et si vous le souhaitez, vous pouvez toujours choisir de recevoir la science auprès d’un autre enseignant qui n’a pas commis de telles erreurs, le chemin est vaste et plusieurs guides nous y invitent. Mais faites-le sans juger les autres.

L’Apôtre de Dieu a dit : “Puis-je vous informer d’une chose plus grande que d’offrir la prière, le jeûne et la charité (optionnels)?Ils ont dit : “Certainement, dis-nous”. Il a dit : “Réconcilier les gens. Certes, causer la corruption entre les gens est un rasoir.” Et le sens de ‘rasoir’ a été explicité dans un autre enseignement prophétique : “La maladie des gens d’avant vous vous a atteint : l’envie et la haine, qui sont le rasoir. Je ne dis pas qu’elles rasent les cheveux d’une personne, mais qu’elles rasent sa religion !

La médisance rase et réduit à néant notre religion et notre santé spirituelle en nous remplissant de la chair morte des autres. Elle crée un environnement malsain, insécure et encourage la diminution de la sacralité de chacun d’entre nous. Il est temps pour nous de nous diriger vers un repentir collectif (tawba) et de nous détourner de ce péché qui est pire que l’adultère. Si l’on redoute vraiment quelque chose pour nos frères et sœurs et que l’on ressent le besoin de les avertir, de les mettre en garde, alors que cela soit fait selon les standards et les références de l’Apôtre de Dieu.

 

Le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui) a dit un jour à l’Imam Ali : “Ô Ali ! Lorsqu’une personne entend de la médisance faite en sa présence sur son frère musulman, et qu’il ne l’assiste pas alors qu’il en est capable, Dieu l’humiliera dans ce monde et dans le prochain”.

 

Lorsque nous nous accorderons sur les principes de base comme celui de refuser la médisance, nous serons alors à même de placer ces principes au-dessus de nos émotions et de nos faiblesses humaines. Nous serons enfin capables d’être plus attachés à ces principes qu’à nos normes culturelles respectives, en harmonie avec la guidance Divine qui applique la tolérance zéro pour la médisance. Et là, nous serons en mesure d’accepter qu’il nous faut parfois aller contre nos bas instincts de validation, de déchargement d’émotions et de suppositions négatives dans l’objectif de gagner le Contentement Divin.

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NOTES :

*Définition de sacrosaint :

  • très sacré, saint, inviolable
  • traité comme saint : protégé de la critique et de la violation

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