Souvent, lorsque nous nommons ou désignons telle ou telle chose, une confusion peut avoir lieu entre le contenant et le contenu. C'est ce que nous enseigne l'exemple du tajine, un plat à la forme bien connue mais qui peut avoir un goût bien différent selon son pays d'origine. Ainsi en est-il également du mot "islam" qui, à l'origine, servait à désigner une réalité, un contenant. Aujourd'hui, il sert plus à désigner une forme religieuse, que chacun veut s'approprier comme étant la "vraie" ou la "bonne"... Et si tous les domaines sont touchés par cette tendance à privilégier la forme au fond, il reste que mal nommer les choses continue à ajouter au malheur du monde, comme le disait Albert Camus... C'est pourquoi j'émets le vœux que l'on puisse parvenir à désigner toute méthode par son contenu plutôt que par son contenant.
Confusion entre contenant et contenu : l'exemple du tajine tunisien et du tajine marocain
Qui connait ce grand débat entre le tajine tunisien et le tajine marocain ? Ces deux tajines, même s’ils portent le même nom, n’ont en réalité en commun que le contenant, le récipient dans lequel ils sont préparés qui s’appelle “tajine”. En ce sens, on peut tout à fait imaginer qu’il existe un tajine libien, un tajine algérien, un tajine du sud du maroc, etc… Il y a autant de tajines que de variations de plats possibles et imaginables... et tous seront appelés “tajine”.
Pour l'anecdote, je suis allé un jour dans un restaurant durant mes premiers mois au Canada. Nostalgique de la nourriture tunisienne, j’ai confié à mon ami marocain mon envie de vouloir manger un tajine. Il m’a alors gentiment invité au restaurant, me promettant que j’y mangerai les meilleurs tajines. Je m'y suis donc rendu avec l’idée que j’y mangerai un tajine comme je les connais, mais il s’est avéré que lorsque le serveur m'a servi mon plat, ce n’était pas du tout ce à quoi je m’attendais... En effet, il m’a bien servi un tajine, mais ce n’était pas du tout celui auquel j’étais habitué.
Mon ami ne s’était pas trompé. Il m’avait bien emmené mangé un tajine, mais c’était un tajine selon sa propre définition et sa propre expérience du tajine !
Il n’est pas question ici de savoir qui a raison comme souvent il est question dans les débats populaires : “lequel des deux est le vrai tajine ?” ou encore “quel tajine est le meilleur?”, mais plutôt de comprendre qu'il peut exister une multitude de “tajines” et que tant que nous définissons les choses par leur contenant et non leur contenu, nous continuerons à avoir des incompréhensions et des différends.
Je vous invite à prendre cette histoire sur le ton de l’humour, car l'humour est bien souvent un bon moyen de transmettre des vérités… et je pense que l'on peut voir dans cette dernière le reflet de nos différends et de nos incompréhensions concernant ce que nous appelons “l’islam”. En effet, l’islam est devenu aujourd’hui comme ce tajine dont chacun réclame détenir le vrai, l’authentique, le meilleur...
Pour aller plus loin, visionner notre vidéo Appeler à "l'islam" ou appeler à Dieu ?
Le terme Islam : contenant ou contenu ?
À la base, le terme islam a été créé par et pour l’intelligence prophétique libérée et libératrice. Une intelligence venue pour libérer l’humanité toute entière du joug des religions au sens des institutions religieuses, des religions en tant que constructions humaines qui veulent contrôler les êtres humains et les séparer les uns des autres à travers des “identités”.
Les prophètes sont ainsi venus nous libérer du contenant que nous appelons “religion” afin de nous mettre en contact direct avec le contenu qui est la réalité, l’essence, l’expérience réelle de “la religion”. Tous les prophètes sont venus avec le même contenu : l’islam qui veut dire “harmonie parfaite avec la Lumière Complète”. À travers cette recherche d’harmonie c’est un appel à la réconciliation auquel Dieu nous appelle. Une réconciliation avec soi-même, avec qui nous sommes réellement.
L’islam était un terme nouveau à cette époque-là. Un terme qui n’était pas du tout connu et qui venait décrire une réalité : le contenu, le fond du Message, le fond qu’il faut chercher et trouver au-delà de “la forme religieuse” (le contenant). Ce niveau de conscience développé, cette maturité de conscience une fois atteinte nous mène à une réconciliation avec le Divin et l’Univers autour de nous, c’est pour cela que je définis l’islam comme étant “la perméabilité parfaite à la Lumière Complète”.
Mais triste est de constater qu’aujourd’hui, le terme islam a fini par devenir un nouveau “tajine” où chacun cuisine ce qu’il veut ou pire que chacun prétend que le sien est le seul et unique vrai “islam” et que les autres n’ont pas le droit d’exister. Nous finissons alors par nous retrouver avec une multitude d’islam : islam salafi, islam soufi, islam progressiste, islam libéral, etc… De quoi s’y perdre…
Je pense alors à cette personne extérieure qui vient par curiosité goûter à notre plat. Je pense à ces académiciens venus étudier l’islam ou encore à ces jeunes qui veulent essayer de cheminer sur cette voie et qui finissent par se retrouver face à tous ces cuisiniers ventant l’authenticité et la légitimité exclusives de leur tajine “islamique”. Vraiment je sympathise et compatis car cela doit être un vrai casse-tête de se retrouver face à toute cette confusion…
Pour aller plus loin, lire notre article Laissez naître et laissez être
Redéfinir les méthodes par leur contenu
En réalité, cette confusion n’est pas propre à l’islam. On la voit aujourd’hui dans tous les domaines, notamment celui de la thérapie. J’entends plusieurs personnes autour de moi se dire être en thérapie, mais de quel genre de thérapie s’agit-il réellement ?
En réalité, cette confusion n’est pas propre à l’islam. On la voit aujourd’hui dans tous les domaines, notamment celui de la thérapie. J’entends plusieurs personnes autour de moi se dire être en thérapie, mais de quel genre de thérapie s’agit-il réellement ?
Est-ce une vraie thérapie qui vise à réconcilier l’âme de cette personne avec les autres âmes autour d’elle, avec l’Univers, avec elle-même? Ou bien est-ce une thérapie qui transforme la personne en combattant, en guerrier en colère à la recherche de ceux qui seraient la cause de son malheur et de son mal-être ? Ce genre de thérapies finissent par augmenter la haine dans le cœur des gens et leur donner des outils, des mots, du vocabulaire, non pas pour se comprendre et se réconcilier avec leur expérience mais bien au contraire pour se victimiser et jeter le blâme sur un père, une maman ou même un ami qui eu a la malchance de se trouver dans la vie de cette personne et non par choix parfois...
Il est donc essentiel de redéfinir les choses par leur contenu en précisant ce que nous souhaitons y développer. Définissons clairement nos approches en disant “je suis là pour t’aider à t’accompagner vers un chemin de transformation et t’aider à développer le pardon, la patience, la reconnaissance, etc…”
Définissez les choses par ce que vous souhaitez apporter et arrêtez d'utiliser le terme “thérapie” comme un mot générique ! Apprenons à redéfinir les méthodes d’accompagnement comme les voies spirituelles par leurs objectifs au lieu de se cacher derrière “le tajine”, ce terme générique qui renferme des réalités aussi différentes les unes que les autres.
Précisons les termes par ce que nous voulons développer chez l’être humain : à quoi invite-t-on ? Que cherchons nous à développer ? Cherchons-nous à développer notre conscience ? Ou cherchons-nous peut-être à développer une colère identitaire ? Cherchons-nous à cultiver chez nos jeunes une crise identitaire pour les amener à réclamer avec colère et ardeur “leur identité perdue” ?
Nommons les choses clairement pour ne pas tromper les gens et ne pas nous tromper nous-même…
Qu'avez-vous pensé de cette réflexion ? N'hésitez pas à partager vos pensées en commentaires !
Pour aller plus loin, écoutez notre podcast Islam, la voie de la spiritualité intégrale