Comme nous l’avions vu dans l’article Profiter du Mawlid pour chercher à voir le Prophète vivant, une des choses qui peut nous permettre d’augmenter notre amour pour Le Messager de Dieu, est la contemplation et la méditation de sa biographie. J’ai beaucoup réfléchi suite à ce conseil que mon enseignant m’a donné, et je me suis demandé quels passages de la biographie prophétique seraient les plus bénéfiques comme objet de contemplation et de méditation pour quelqu’un qui souhaite s’investir dans cet exercice de développement d’amour et de connexion au Prophète Mohammed…

L'époque médinoise : une époque controversée

Lorsque l’on parle de biographie du Prophète aujourd'hui, ce qui vient d'abord en tête sont souvent les quelques années passées à Médine… Alors que, en regardant les choses à travers une perspective scientifique, on réalise très vite que tout ce qui nous est rendu disponible comme données au sujet de ces années-là est très controversé, et qu’il est fort possible que beaucoup de choses aient été ajoutées… 

D’ailleurs, s’il y a une narration prophétique que je considère comme 100% authentique, c'est celle où le Prophète alerte : “Celui qui fabrique un mensonge à mon sujet, disant que j’ai dit une chose que je n’ai pas dite, s’exclut lui-même de la Grâce Divine”... Si je considère ce récit comme authentique, c’est parce qu’il a été rapporté par un grand nombre de compagnons, plus de 100 personnes au total, qui relatent la même histoire, qui rapportent les mêmes propos… Ce en quoi je vois une preuve qu’il voyait ce risque de narrations mensongères le concernant apparaître autour de lui… 

Lorsque le Prophète a prononcé ces mots, c’était durant la période médinoise, celle durant laquelle “al-islam”, la Voie spirituelle mohammadienne, avait commencé à se manifester en tant qu’institution, et avait été mêlée de fait au pouvoir, à l’argent... Bien sûr, il n’est pas difficile de comprendre que dès que des enjeux de cet ordre apparaissent, de nouveaux défis voient le jour également… Une fois qu’il existe une institution, une structure, un état, une organisation et es biens à gérer et une interdépendance entre les gens, les enjeux ne sont forcément plus les mêmes. Il ne s’agit plus uniquement de vivre et de diffuser un message, mais de savoir qui va gérer cette structure, et comment elle va être gérée… Pour certains, il s’agit aussi de savoir comment faire perdurer cette façon de vivre après le départ du Prophète, façon de vivre qui va vouloir lui survivre nécessairement… D’autres encore seront animés par la question de l’héritage… 

-> Pour aller plus loin, écoutez notre podcast "L'islam", une invention ?

Qu’est-ce qu’un prophète ? Force de vie et esprit de revivification 

Ce n’est donc pas surprenant qu'à plusieurs reprises, certains “compagnons” aient planifié de tuer le Prophète… Tout simplement parce que le Prophète porte la Voix de la Voie Vivante, alors que certaines personnes veulent juste une “religion” au sens de structure figée et d’idéologie… Certains cherchent une institution qui ne bouge pas afin de pouvoir non seulement s’y accrocher, mais plus encore construire autour d’elle leur vie matérielle. 

C’est un phénomène facile à comprendre… Rien que nous, individuellement, à notre niveau, combien de fois avons-nous choisis une zone de confort à une zone de confiance et de croissance ? Combien de fois avons-nous favorisé la version figée et morte de nous-mêmes, et avons résisté au mouvement et à la renaissance ? Alors que le terme “an-nabi” en arabe, qu’on traduit souvent par “prophète”, signifie “la force de renaissance”, le porteur de “ar-Rouh an-Noubouwwa” qui veut dire “l’esprit de l'innovation” ou “l’esprit de la rénovation et de la revivification”… Impossible donc de le mettre dans une boîte et de le figer sous prétexte que “c'est à cela qu’on a été habitué”... 

Cela est bien illustré dans l’épisode de la vie prophétique durant lequel le Prophète Mohammed a changé la qibla, la direction vers laquelle les êtres en quête de connexion avec le Tout-et-un s’orientent durant la prière rituelle… C’était là une grande chose qu’il a initiée, et on peut se demander :  pourquoi a-t-il fait cela ? Quel besoin pouvait vraiment le motiver à faire ce choix ? Souvent, ce changement est présenté comme venant du fait qu'il était si attaché à la Ka’ba… Mais cette réponse ne peut convenir lorsqu’on y réfléchit… Car  qu’est-ce que la qibla, au fond ? Et d’un point de vue purement spirituel, qui se soucie de prier vers l'ouest, vers l'est, vers le nord ou le sud ? 

En réalité, le changement de qibla a été fait par souci pour le changement en lui-même, et non par souci envers la Ka’ba… C’est le fait de changer qui a été voulu afin que nous puissions apprendre et comprendre en étudiant l’histoire que ce n’est pas la structure qui compte… Que ce qui compte, c'est le message… Et aussi qu’il n'y a pas de religion au-dessus de la Vérité, et que la Vérité reste toujours insaisissable… 

Pour revenir à mon propos, aussi choquant que cela puisse paraître, il y a bien des personnes au sein de “l’islam”, et non juste des juifs de Médine ou des Qoraych ouvertement réfractaires au Prophète comme on aime à le penser, qui ont voulu le tuer… Lorsque j'ai lu ce chapitre de la biographie prophétique avec mon père, je me rappelle lui avoir dit combien je trouvais cela ridicule de vouloir tuer le Prophète alors qu’il avait plus de 120 000  personnes qui le suivaient… Dans mon raisonnement, si la religion de Issa avait survécu à sa mort alors qu’il n’avait que 12 disciples, il était certain que la religion de Mohammed survivrait à son départ avec tant d’adeptes… Mais mon père, qui parlait peu mais avait le pouvoir de dire en quelques mots de quoi vous donner à méditer pour des mois, m’a répondu : “Qui t'a dit qu'ils voulaient changer de religion ?”... Une phrase que je n’ai pas comprise sur le coup. Je lui ai dit : “Tu veux dire qu’ils voulaient l'islam sans Mohammed ?”, chose qui me paraissait absurde. Il m'a seulement dit : “Tu comprendras quand tu seras grand”... 

Et je comprends aujourd'hui, en effet… Ils voulaient “l'islam” sans Mohammed, c’est-à-dire qu’il ne voulaient plus “al-islam”, la Voie Spirituelle mohammadienne, ils voulaient plutôt “l'islam” en tant qu’institution, la religion au sens d’une idéologie qui prétend posséder la Vérité, ou encore en tant que dynamique psychologique ou sociale… Ici comme partout et en tout temps, on retrouve toujours le même rapport de force entre le poids de la mort, ou l'encastrement, et la force libératrice de l'esprit de la vie…

Voilà en tout cas pourquoi je pense que les dernières années de la vie prophétique sont controversées… Je pense qu’on ne peut pas vraiment savoir ce qui s'est vraiment passé à cette époque, et je me vois forcé de reconnaître que ce que nous avons à notre disposition comme récits a été écrit par des personnes dont certaines avaient un agenda... C’est-à-dire que les derniers chapitres de la vie du Prophète Mohammed n’ont pas été écrits que par des gens qui voulaient juste nous transmettre des éléments à propos de l’Envoyé de Dieu, mais que certains parmi eux avaient un agenda, et quel agenda… Un agenda impérialiste, de ceux qui veulent conquérir et asservir le monde ! Ce n’est pas pour rien que le premier livre qui a été écrit sur le Prophète était appelé “al-Maghazi”, “Les conquêtes”... Et c’est ainsi que Mohammed est devenu et a été réduit à “Mohammed le conquérant”, et c'est tout… 

Dans les livres de biographie, rien ou très peu est dit sur son enfance, sur l’avant prophétie, ou même sur la période mecquoise… Seuls quelques épisodes sont narrés sur ces périodes, alors qu’en ce qui concerne la période médinoise, on trouve de longs chapitres sur chaque guerre, décrivant avec précision et longueur qui était là à tel ou tel moment, qui a gagné, qui est devenu martyr, comment tel ennemi a été tué, quelle stratégie a été utilisé par l'armée, etc…. N’est-ce pas là une façon de tuer le Prophète, ou du moins de tuer une partie du Prophète, exagérant la dimension du guerrier au dépens de celle de l'ermite ?

Se concentrer sur le Mohammed dans la grotte

En tout cas, pour ma part, si je dois contempler et méditer un chapitre de sa vie, je ne pourrais pas trouver de meilleur épisode que celui qui concerne les cinq ans avant la Révélation... Celui de la période de la grotte… Cette partie là est si belle, si importante… Puis, on peut être sûre que ce que nous avons comme récit est véridique, car il n'y aurait eu aucun intérêt à y ajouter quoi que ce soit… Cela n’aurait donné ni pouvoir, ni argent, ni statut, ni rien de mondain à celui qui s’y serait prêté… Au contraire des années médinoises. 

La notion de grotte a toujours fasciné les Chercheurs de Dieu…. Où que l’on aille dans le monde, comme par exemple au Maghreb ou en Andalousie, on trouve dans nombre de montagnes les grottes de tel ou tel Homme ou Femme de Dieu… Ce qui montre finalement que c’est ce chapitre de la biographie prophétique que les Amis de Dieu ont lu, et auquel ils semblent même s’être arrêtés ! Peut-être parce qu’ils cherchaient la fondation, les racines… 

_{Pour aller plus loin, visionner ma vidéo Les traces des Hommes de Dieu - Des grottes et des lumières}

Ce qui les a enivrés et mis en mouvement, c’est l’histoire du Mohammed en quête qui, durant des périodes de plus en plus longues au cours de ces cinq ans, laissait tout derrière lui pour se rendre dans la grotte de Hira, terme qui signifie “la quête”... C’est le Mohammed en quête de l’Absolu, s’abreuvant de l’Absolu, répétant le Nom de l’Absolu : “Allah… Allah… Allah…”, le Nom de la quête éternelle comme nous l’avons vu dans cet article, où j’expliquais que, selon une langue ancienne, le Nom Allah est en réalité une question qui  signifie “Qui es-Tu ?” “Qui es-Tu ??”... Ce Nom qu’il a tant et tant répété lors de ses méditations, jusqu’à ce que sa voix se soit évanouie, jusqu’à ce qu’il se soit lui-même évanoui dans l’obscurité et dans la lumière… Dans le tout et le néant à la fois… Dans le Tout ce qui est, le Tout-et-Un… 

Quoi qu’il en soit, cet épisode de la vie du Prophète est suffisant pour apprendre à le connaître et à l'aimer, pour se connecter à lui… Pour vivre par lui et chercher sa propre grotte à soi qui viendra offrir un abri face à la vague de cette existence matérielle… Que chacun trouve sa propre grotte et se mette en quête, demandant : "Qui es-Tu ??" ! Une question qui prendra des couleurs différentes au fur et à mesure du cheminement… Car si au début, on demande “qui es-Tu”  parce que Dieu nous est Inconnu, et ce bien qu’il soit à la fois Connu et Inconnu, cette question pourra évoluer à la façon qu’il nous arrive de demander à quelqu’un “qui es-tu ?" lorsqu’on est émerveillé par ses talents ou sa beauté, et qu’on semble le redécouvrir ou découvrir une nouvelle facette de sa personnalité… De la même façon, plus on sera surpris et émerveillé par le Divin ainsi que par les Cadeaux qu’Il nous fait, plus on ressentira le besoin de Lui demander “Mais vraiment, qui es-Tu ??” comme un cri d’éveil, d’émerveillement, de renaissance… et ce jusqu'à ce que l'on n’ait plus de mots, jusqu’à ce que tous nos mots s'évanouissent, disparaissent, et que l’on disparaisse nous aussi complètement… C’est à ce moment-là que l’on pourra trouver ce qui est appelé le Plus Grand Nom de Dieu ou encore le Nom de l’Essence, “Ismoullah al-a’tham”, qui n’est pas un mot que l’on peut émettre avec sa voix ni même écrire avec des lettres…

Je pense qu’enseigner à nos enfants cette partie-là de la biographie du Prophète est suffisante… Nul besoin de leur parler des guerres et des batailles, des tortures et des “ennemis de l'islam” toujours habillés de noir et caricaturés en méchants… Ce dont nos enfants ont vraiment besoin, c’est d’en apprendre plus sur cet homme qui aimait tellement Dieu qu'il Le cherchait dans chaque être humain, qu'il était si bon avec tout un chacun, et qu'il offrait même des salutations de paix, des “as-salamou alaykoum” à tout ce qui croisait son chemin… non seulement aux humains, mais aussi aux pierres, aux animaux, aux végétaux… A tel point que les pierres elles aussi lui disaient “as-salamou alayka !”… 

Si nous apprenons cette histoire à nos enfants, nous les verrons certainement saluer à leur tour tout ce qui les entoure, devenir conscient de leur place au sein du cosmos… C’est peut-être cela qui fera germer en eux les graines de sainteté qui sont dans chaque cœur de chaque être humain… Parlons-leur de cet homme qui aimait tellement la Présence Divine qu'il s’isolait dans une grotte pour La chercher et pour passer du temps avec Elle… Cela permettra de faire naître en eux le désir de passer du temps avec Dieu à leur tour… D’ailleurs, je suis sûr que c'est cette partie de la biographie prophétique que la mère de Abdelqader al-Jilani lui a enseigné enfant, et que c’est pour cela que dès qu'il a atteint l'âge de 14 ans, il s’est mis en quête d’une grotte pour se consacrer à sa quête de l’Essence Absolue…  

A mon sens, c'est sur cette partie de la vie du Prophète que nous devrions nous concentrer, tout particulièrement aujourd'hui… Afin de nous permettre de chercher notre grotte nous aussi, car nous avons besoin d'une grotte, non pas pour nous cacher du monde, mais pour nous planter en son sol, et pouvoir commencer à croître… Pour grandir, il faut se planter quelque part, nous ne pouvons pas rester hors-sol… Puis, celui qui connaît et aime le Bien-aimé à travers ces cinq années pourra lire tout le reste de sa biographie et des narrations prophétiques à travers ce filtre, et pourra de lui-même distinguer ce qui est cohérent, ce qui est authentique, de ce qui ne l’est pas… 

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Article tiré d’un enseignement donné en anglais lors du Mawlid annuel de Montréal le 21 septembre 2024