La prière de la croissance continue dans la voie du service - Les cinq prières de Moïse - 6 - partie 2/2
Jul 07, 2024Deuxième partie de notre article sur la cinquième prière de l'Hégire de Moïse.
Première partie à lire et relire ici
LE DEVOIR D’AGIR, L’ART DE SERVIR
Notre Maître Moussa (que Dieu continue de nourrir son être et nous connecte à lui) nous enseigne ce qu’est l’art de servir : faire son devoir, sans chercher à se faire voir. Repérer le besoin et combler les manques. Donner son “être” et son “avoir” sans calculs, de façon entière et désintéressée.
Et là est la voie. Tu veux avoir accès à la Connaissance de Dieu (ma’rifa) ? Alors investis-toi dans le Chemin de Dieu. Fais du service ton devoir. Sois comme notre mère Fatima (que Dieu nous connecte à elle ainsi qu’à sa lignée bénie), qui prenait exemple sur son noble père, le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son âme, sa lumière et notre connexion à lui) : en adoration la nuit, au service des autres le jour. Elle passait ses nuits en prières, et ses journées au service des étudiants qui venaient apprendre auprès de son père, ainsi qu’au service des nécessiteux.
Voila notre voie spirituelle, il s’agit de la voie du service.
Quand notre bien-aimé Moussa sert de l’eau à ces deux femmes, il se retrouve lui-même abreuvé de l’Eau de Vie. Il était exténué par le voyage et les émotions fortes qu'il venait de vivre, mais dès qu’il a servi, il a repris vie. Car il y a un véritable secret dans le service. Alors, comme je dis à mes étudiants : si vous souhaitez accéder à cette vie de délice, rendez-vous service : abandonnez les vices, resserrez vos vis, et engagez vous dans la voie du service !
Car vous êtes très probablement de ceux qui ont bu de cette coupe si vous avez un enseignant, un Shaykh, ou un mentor spirituel qui vous nourrit spirituellement par ses enseignements, comme à travers cet écrit que vous lisez. Vous avez bu, vous avez goûté à quelque chose. Maintenant, vous avez donc une responsabilité, celle de vous décentrer de vous-mêmes et de vous interroger : et les autres ? Qu’en est-il de ceux autour de vous qui n’ont pas accès à cette Source ? Qu’en est-il de ceux qui ont soif et qui sont toujours en attente de boire ? De ceux qui ne peuvent pas aller assister aux conférences, aux séminaires, aux retraites, aux cercles de développement de conscience auxquels vous assistez ? Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas de mentor, pas d’enseignant ? De ceux qui n’ont pas connaissance des sources auxquelles vous vous abreuvez, ou qui n’y ont pas accès ?
Si vous avez eu l'opportunité de goûter à l’éveil spirituel, la grande question est : qu'allez-vous maintenant en faire ? Qu’allez vous en faire pour ne pas aller aux enfers ? Car maintenant il est de votre devoir d’agir, de partager et de servir l’eau que vous avez bu à tous ceux qui en ont besoin.
Il ne s’agit pas de chercher à sauver le monde ni de nourrir de grandes aspirations pour soi-même. Il ne s’agit pas de se poser en sauveur des autres, mais simplement de commencer par essayer de se sauver soi-même. L’urgence n’est pas de sauver le monde, mais l’urgence est de sauver ta peau. Car si tu reçois sans donner, si tu es témoin sans t’engager, tu es en danger. Engage-toi dans l’agir spirituel, un agir qui est celui de ton esprit à travers toi. Mets ton esprit en action, et ne laisse pas les enseignements que tu reçois sans suite. Parce que si l’on ne sort pas de sa zone de confort, si on ne met pas les enseignements que l’on reçoit en pratique… il y a quelque chose qui s’appelle la Colère de Dieu ! Que Dieu nous protège et vous protège. Dieu dans Sa Noble Écriture adressée à l’humanité, a fait le serment :
Par celui qui témoigne (shahid) et par ce qui est témoigné (mash-houd) !
S.85 - V.3
Ce qui montre la grande importance du témoignage (chahada) son aspect solennel, et même sacré. Nous sommes témoins de toutes ces Grâces venant de Lui, et nous avons la responsabilité et le devoir d’en faire quelque chose.
La sourate 85 dont est issu ce Serment Divin nous rapporte l’histoire des gens de la fosse : les serviteurs d’un roi tyrannique ont brûlé vif des croyants dans un feu qu’ils alimentaient dans un grand trou, tandis que d’autres assistaient au spectacle, passifs, le cœur endormi. On raconte que parmi les oppresseurs, certains se sont repentis de leur crime et ont ainsi gagné le Paradis, tandis que les spectateurs, ceux qui étaient témoins sans intervenir ni par la main, ni par la parole, ni même par un mouvement du cœur et qui sont restés dans cet état de passivité et de complicité intérieure ont été destinés à l’Enfer.
Et c’est un fait qui se reproduit souvent dans l’histoire de l’humanité : les criminels de guerre qui se repentent sincèrement ne sont pas les égaux de ceux qui sont témoins passifs de ces mêmes crimes et massacres, qui acceptent et qui sont complices du cœur avec ces injustices : ces derniers sont parfois encore plus criminels. Car le soldat qui s’était engagé avec l’intention de servir le bien et la justice s’est peut-être trouvé sous influence, instrumentalisé, trompé, manipulé ou contraint malgré lui de commettre ces crimes ou ces massacres.
Il s’agit donc d’être très prudent avec le fait d’être témoin sans s’engager, car ce récit nous montre que l'absence d’engagement face à une injustice est plus grave que de commettre une injustice dont on se repent sincèrement ensuite ! On ne doit jamais laisser des moments de témoignage sans engagement.
Ainsi, lorsqu’on est témoin des Grâces Divines, ces moments de témoignages doivent devenir des moments d’ancrage, d’enracinement et de renaissance, ou dit autrement des moments-mamans. Comme nous l’avons déjà abordé dans les précédents articles, j’appelle “moments-mamans” les moments qui nous permettent une renaissance dans de nouveaux horizons, dans une nouvelle dimension, une nouvelle projection, un nouveau monde, une nouvelle façon de voir les choses. Et les investir est un devoir. Là est l’agir spirituel.
La spiritualité ne consiste pas à dire à Dieu : “je veux Te voir !” sans s'attacher au préalable à faire nos devoirs. La spiritualité ne consiste pas à chercher à faire partie d’une prétendue élite privilégiée élue par Dieu pour contempler Sa Face et baigner dans Ses Grâces, et qui n’a donc pas besoin de travailler et de servir, laissant ces tâches à d’autres personnes moins privilégiées. Non ! La spiritualité c’est justement le service. Le service, l’agir est un devoir spirituel !
Un excellent exemple de cette Commande Divine à s’investir dans l’agir spirituel est celle adressée à notre Maître Yahya (Jean le Baptiste, que Dieu nous connecte à lui) : « ô Yahya, prends le Livre, la mission avec force ! » S.19 - V.12
S’investir, servir, agir, tel est le mot d’ordre pour qui veut suivre une voie vraiment spirituelle.
SERVIR POUR GUÉRIR
Et notre Maître Chou'ayb invite précisément notre Maître Moussa (que Dieu continue de nourrir leurs êtres, leur lumière et notre connexion à eux) à se remettre au service, sans tarder, et pour une longue période de 8 ou 10 ans. Si cette invitation du Prophète Chou’ayb (ou Homme de Dieu autre) souligne combien le service est fondamental, central, inévitable pour qui veut cheminer et croître, elle nous ouvre également une autre porte de compréhension quant aux conditions du cheminement spirituel.
Il faut imaginer ce que cette demande de servir sous le commandement de quelqu’un pourrait déclencher dans le cœur et dans le psychisme de Moussa. Car s’il a servi de son propre gré les deux sœurs devant le puits, leur père quant à lui fait une toute autre demande : celle de s’engager à le servir, à se conformer à ses ordres, à lui obéir, pendant 8 ou 10 ans. Et Moussa a déjà vécu quelque chose de similaire...
Nous savons que Moussa est issu de la nation des enfants d’Israël, nation qui a été asservie et exploitée durant de nombreuses années. S’il devait avoir un complexe, une blessure ou un blocage, ce serait bien celui de ne plus supporter qu’on lui impose de se mettre au service ! Il vient juste de quitter le service d’un homme tyrannique et injuste, il vient juste de rejeter ce service du plus profond de son être, il vient juste de refuser d’être l’instrument de qui que ce soit. Et voilà ce Maître spirituel, ce médecin des âmes et des cœurs, qui vient appuyer exactement là où ça fait mal, dans l’objectif de l’aider à guérir, bien évidemment.
Essayons de comprendre l’étendue de cette blessure intérieure, et rappelons-nous que Moussa ainsi que tout son peuple étaient comme réduits en esclavage sous le joug de Pharaon. Tous les gens qu’il aime, sa mère, ses frères et sœurs, toute sa famille, et même sa mère adoptive Assiya étaient soumis de force à Pharaon. Car il est important de notifier qu’en réalité, Pharaon n’est pas un roi égyptien légitime, mais un ancien soldat qui s’est accaparé le pouvoir par la force.
Pour resituer les faits dans leur contexte, il nous faut remonter à l'époque de notre Maître Youssouf (Joseph), époque qui avait vu le Pharaon embrasser la Voie de Dieu. Youssouf a été nommé gouverneur de la terre d’Egypte, qu’il a gérée avec grande intelligence. Ses frères sont également venus s’installer en Egypte, ainsi que son peuple. Au fil du temps et des années, cette communauté des enfants d’Israël a prospéré. Dotés d’une vraie intelligence de gestion et du sens du commerce, certains parmi eux sont rapidement devenus de grands commerçants, artisans, propriétaires terriens.
Les égyptiens étaient à ce moment là moins entreprenants, car habitués à avoir un roi qui les dirige et les occupe par des jeux et des festivals populaires. Beaucoup ne cherchaient qu’à gagner leur pain quotidien, et se voyaient donc engagés en tant qu’ouvriers sur les terres ou dans les commerces des enfants d’Israël.
Cette réussite matérielle flamboyante a fait naître une certaine jalousie dans le cœur de certains égyptiens, souvent accompagnée d’une hostilité à la foi en un Dieu Unique. Les prêtres de cette religion, qui n'étaient que des sorciers, ont nourri cette rancoeur et ont orchestré un coup d’état avec des membres de l’armée. Le soldat devenu faux pharaon s’est donc emparé du pouvoir, décimant au passage la véritable famille royale qui croyait en Dieu et qui avait suivi les pas de Youssouf. La seule épargnée fut la jeune Assiya, fille du Pharaon exécuté devant ses yeux. Voilà pourquoi l’amour de Dieu brûlait dans son cœur depuis toujours, ayant été élevée selon la Voie éclairée par Youssouf. Sa servante avait également survécu au massacre, continuant de servir Assiya, et de partager ensemble leur foi secrète en l’Unique, qui fut revigorée par l’accueil du bébé Moussa sauvé des eaux.
Si le Pharaon usurpateur a laissé Assiya vivante, ce n’était donc pas par amour, mais pour l’épouser de force et récupérer la puissance, la légitimité et l’aura des véritables Pharaons d’Egypte. D’ailleurs il n’a pas hésité à la tuer également quand il a découvert la foi qui habitait son cœur.
En accédant au trône, ce Pharaon hostile aux porteurs de la foi a tout fait pour monter la population égyptienne contre les israélites en utilisant les ficelles du racisme, de l’exagération et du mensonge. Il n'a pas hésité à monter en épingle et généraliser la moindre erreur de gestion ou le moindre abus commis par les israélites qui avaient du pouvoir à cette époque. Il les a accusés de vivre sur le dos des vrais égyptiens et de leur manger leur pain, nourrissant la suspicion du peuple par rapport à l’aisance financière des israélites considérés comme étrangers, les accusant d’avoir beaucoup trop profité des privilèges accordés par l’ancien pouvoir en place à cause de leur foi commune.
Il s’est évertué à effacer toute la bonne opinion que le peuple avait de Youssouf, le sauveur de l’Egypte, dont la gestion avait permis de protéger de la faim tout le peuple égyptien pendant sept longues années de sécheresse. Il a également livré une véritable guerre contre le souvenir du règne prospère du précédent Pharaon et roi d’Egypte, qui avait instauré une justice sociale exemplaire, une liberté religieuse, la justice et la paix, ce qui avait permis à toutes les richesses de se développer : financière, mais aussi artistique, philosophique, etc.
Alors que l’Egypte traversait une faillite économique suite à son coup d'État et son arrivée au pouvoir, il a rejeté toute la faute sur les israélites, les obligeant à réparer cette prétendue faute en payant une lourde dette pour renflouer les caisses de l'État. Certains parmi eux ont accepté de payer afin de conserver leur statut social et leurs richesses, comme par exemple Qaroun (Coré) dont le récit est rapporté dans la Sainte Ecriture (S.28 - V.76 à 83). Ce dernier n’a pas hésité à se retourner contre son peuple, devenant complice avec Pharaon, continuant de fréquenter sa cour (S.29 - V.39, S.40 - V.24), devenant ennemi des israélites et de leur foi.
Certains hébreux ont refusé de payer, tandis que d’autres encore n’en avaient tout simplement pas les moyens. Pharaon a alors fait confisquer leurs biens et les a mis en servage, les obligeant à payer leur dette en devenant des serfs, des travailleurs exploitables à merci. Et cette injustice s’est peu à peu muée en agressivité et en violence, jusqu’à ce que Pharaon, suite à son rêve que nous avons déjà évoqué, finisse par accuser les israélites d’être même coupables des maladies qui sévissaient ou allaient prochainement sévir dans le pays, réclamant que les nouveau-nés mâles soient sacrifiés.
Ainsi, on peut tout à fait imaginer que pour toute personne issue des enfants d’Israël, le mot “service” est certainement devenu synonyme des mots “esclavage”, “injustice”, “maltraitance”, “abus” ou “humiliation”. Aussi, quand l’Homme de Dieu de Madyan invite Moussa à rentrer à son service pour 8 ou 10 ans, on peut imaginer le dédain, le rejet, les images, les traumas que cela peut réveiller en son for intérieur.
Et ce n’est pas un hasard si ce Maître spirituel lui impose ce test et vient réveiller tout cela, car en réalité, il y a un secret spirituel dans cette situation : il faut se libérer des complexes et traumas pour vivre un authentique cheminement spirituel. Si tu veux cheminer, tu dois guérir et te libérer de tout ce qui provoque des blocages en toi. Voilà pourquoi Moussa se voit offrir une alternative saine du service pour pouvoir guérir et avancer. Car si tu as servi le mal, tu ne peux guérir qu’en servant le bien, là est tout l’enjeu. Si ta relation au service est mauvaise, tu ne peux cheminer qu’en te réconciliant avec, en développant une bonne relation au service. Et si tu as servi un tyran, se libérer vraiment de ce tyran ne consiste pas seulement à le fuir et à s’en éloigner, mais à servir le bien. Là est la véritable libération.
"Il faut se libérer des complexes et traumas pour vivre un authentique cheminement spirituel. Si tu veux cheminer, tu dois guérir et te libérer de tout ce qui provoque des blocages en toi".
Et cette règle est valable pour tout ce qui constitue la vie humaine. Si une personne a vécu des choses malsaines dans son rapport au genre opposé ou à l’argent par exemple, ou même dans des relations amicales ou familiales, la guérison ne va pas se trouver en coupant net et s’éloignant pour toujours, en refusant de se marier ou d'avoir de nouveaux des amis, de l'argent. On peut décider de se couper pour un temps, et c’est parfois absolument nécessaire, mais après cette période de retrait, il est primordial de revenir sur ce sujet et de le vivre de façon saine et alignée à la Volonté Divine. Nettoyer ses concepts erronés en profondeur et s’ouvrir à un nouveau rapport plus sain est la condition d’un développement spirituel sain.
Notre Maître Chou’ayb aurait pu proposer à Moussa de devenir un moine ermite qui passerait son temps en méditation, loin de toute civilisation. Mais cela aurait été plus une fuite en avant, qu’une véritable libération. Fuir le trauma, se consacrer à Dieu dans l’évitement et l’ascèse, c’est une vision moderniste de la spiritualité, mais ce n’est pas la réalité de la spiritualité. En réalité, si ce retrait et cette ascèse peuvent être nécessaires un temps pour se couper des choses malsaines, il ne s’agit en vérité que d’une première étape de la cure. La seconde étape consiste à venir réaffronter l’origine du trauma, exactement comme Moussa va tout de suite affronter la condition de serviteur, et va, plusieurs années après, ré-affronter Pharaon après cette longue période de retrait et de préparation à Madyan.
LE FAINÉANTISME SPIRITUEL
Comme nous l’avons vu, beaucoup de gens imaginent que le spirituel est antinomique de l’agir, développant ainsi ce que j’appelle, et permettez ce néologisme, le “fainéantisme spirituel”. Je préfère utiliser ce nouveau mot plutôt que d’employer le mot “fainéantise”, qui décrit un simple état, une faiblesse, une mollesse.
Lorsque je dis fainéant-isme, je suis en train de parler d’un courant, comme on parle d’islam-isme, de social-isme, de libéral-isme, etc. Car la définition de la fainéantise est la suivante : "caractère d'une personne fainéante (paresse, flemme) ; état de fainéant (inaction, oisiveté)”. Mais là, il ne s’agit pas d’un simple état passager ou même durable, il s’agit d’un courant qui frappe avec énormément de force en faveur de la fainéantise, ce qui est un vrai paradoxe. Un courant qui se défend bec et ongles... pour ne rien faire. On voit les personnes adeptes de ce courant commencer par dire “on ne veut pas prendre partie”, pour finalement ne pas vouloir prendre part, tout en réclamant leur part !
En plus d'être un néologisme, ce terme est purement antinomique, car, comme nous l’avons vu, la vraie spiritualité ne peut être passive et subie. Elle doit s’exprimer et se cultiver dans le monde de la matière, inévitablement.
Malheureusement, il est courant de voir des personnes se revendiquer de la spiritualité être en réalité plutôt à la recherche d'une forme de romantisme spirituel. Comme un décor, une couleur spirituelle qui serait donnée, mais qui n’est pas une vraie spiritualité. Ce faisant, ils se figent dans une image, dans un cadre, dans une cage, mais lorsqu’on les appelle à l’investissement, on ne trouve personne. Où est cette flamme émotionnelle dont nous avons abondamment parlé ? Éteinte, elle ne laisse place qu’à la triste trilogie de mollesse/princesse/tristesse.
Si les ingénieurs du développement spirituel affectionnent les retraites spirituelles, les enseignements sur l’Amour Divin, ou encore les chants religieux et l’utilisation du tambour, ce n’est pas pour créer un cadre romantique dans lequel on vient rêver et se déconnecter de la réalité. Tout cela est fait dans le dessein de rallumer la flamme des cœurs endormis. Les battements du tambour viennent réveiller les battements du cœur pour l’accompagner vers une vraie prière, une prière active, afin qu’il soit touché et qu’il puisse s’engager émotionnellement parlant. Une personne vraiment réceptive voit son cœur physique battre plus fort et ses larmes couler sur son visage. Elle ne reste pas à la surface de cet exercice de développement de la flamme, elle ne se contente pas de battre des mains en rythme et de se laisser porter par l’ambiance. Elle s’ouvre de l'intérieur, elle se laisse traverser, elle laisse son cœur s’engager.
Attention au fainéantisme spirituel ! L’enseignant, le mentor ou le guide spirituel est une flamme ardente, une flamme qui peut réveiller dans le cœur de ses étudiants des flammes tout aussi ardentes. Mais beaucoup d'étudiants cherchent la mollesse, et s'inscrivent dans le fainéantisme spirituel. Ils aiment se faire servir, se réchauffer et s’éclairer à la flamme de leur enseignant, mais ils ne sautent pas le pas de se laisser enflammer le cœur pour servir les autres.
Ce constat de fainéantise spirituelle et de mollesse s’observe partout, notamment dans nos mosquées. Par exemple, normalement, avant de s'asseoir dans un lieu de prière ou toute assemblée quelconque, les frères devraient s’assurer que les sœurs sont bien assises, au chaud et confortablement installées. N’est-ce pas ce que notre Maître Moussa a fait en s’assurant de servir d’abord les deux femmes avant de se servir lui-même ? Malheureusement, c’est loin d’être ce que l’on observe dans les faits.
Qu’est-ce qui nous empêche aujourd’hui de marcher sur ses pas, ainsi que sur les pas des Hommes de Dieu, des êtres conscients ?
Il est temps de sortir de ce fainéantisme spirituel.
L’AGIR OU L’ACTIVISME MENTAL ET ÉGOTIQUE
Il existe plusieurs pièges pour la personne qui souhaite quitter cet état de fainéantise. Nous avons vu que parler d’agir spirituel permettait de mettre cet agir en opposition avec un agir qui serait mené par d’autres dimensions de l’être humain : le corps, le rationnel, les émotions, le mental ou encore l’ego. Dans ces cas-là, on parlerait plus d’activisme que d’agir.
Un agir basé sur le mental serait principalement fondé sur l’indignation et la réactivité. On entend souvent dire de nos jours que telle personne “s’est indignée face à l’injustice”. Et on peut en voir un exemple quotidien avec les fonctions que nous offrent désormais les réseaux sociaux et autres smartphones, qui ont créé des émoticônes de réaction : content, visage souriant/ en colère, visage rouge…
Derrière leurs claviers, les gens sont poussés à "réagir" à ce qu’ils voient, de manière rapide et même presque immédiate, sans que le temps de la réflexion ou de l’introspection ne soit donné. On a érigé ces réactions (que l’on veut faire passer pour des émotions mais qui ne sont que des senti-ments) en reines de nos comportements sur la toile. Une réaction vient en chasser une autre, mais rien ne s’inscrit durablement en terme de transformation positive des individus ou de la société.
L’activisme mené par l’ego est aussi un des écueils à éviter. L’agir égotique est l’agir qui a l’égo comme fondement, comme moyen et comme fin. Dit autrement, tout part de l’égo, tout se fait par l’égo, et l’objectif final est de célébrer et louanger l’égo. La personne se croit elle-même dans l’agir spirituel, mais au fond d’elle-même, elle ne fait que nourrir et renforcer son ego, son âme figée.
Et nous devons faire attention, chercher à faire de vraies introspections et purifier nos intentions ! Car l’égo est un danger, c’est “l’anti-esprit” ! Si l’esprit est enraciné dans le Divin, l’ego quant à lui est complètement coupé du Divin. D'ailleurs EGO est l’acronyme de : “Edge God Out”, ce qui signifie en anglais : “jeter Dieu en dehors de l’équation”. C’est cela l’ego, que Dieu nous protège et vous protège.
Selon Abu Yazid Al Bastami (que Dieu nous connecte à lui, ainsi qu’à son héritage de lumière) : “Lorsque Dieu a créé cette illusion en nous qu’est l’égo. Il lui aurait demandé “qui es-tu toi ?”, et l’ego aurait répondu: “je suis moi, Toi, Tu es Toi, laisse-moi tranquille”.
L’ego développe en nous un agir égocentrique, c’est à dire un agir qui est à la fois égoïste (qui a la satisfaction de l’égo comme objectif et finalité) et aussi égotique (qui a l’égo pour point de départ, pour paradigme, pour référence, pour fondement, pour moyen). Dit encore autrement, l’agir égotique est un effort qui vise à bâtir du néant dans le vide au cours d’une chute libre !
Ce qui donne vie, c’est le lien avec la Source de la Vie, soit par définition l’esprit. L’ego quant à lui est coupé de Dieu, donc sans vie, et dépourvu des graines et noyaux de vie que sont les intentions. Les intentions sont les graines sacrées, les noyaux de la Vie Divine que le cœur plante à travers ses actions (noyau vient d’ailleurs du mot arabe “nawât”, qui lui même vient du mot “niya” qui signifie “intention”). Seul l’Esprit peut planter et vivifier ces graines à travers les actions du cœur. L’égo quant à lui n’a pas d’intention (pas de pouvoir de vie), il n’a que des prétentions.
Notre façon d’agir aujourd’hui est encastrée dans le paradigme de la modernité, c'est-à-dire que notre agir prend l'individu pour centre et point de référence. C’est donc par définition un agir égotique. Alors que notre vraie nature, notre seul centre et point de référence stable et vivant, c’est l’esprit. Dans le Qor'an, Dieu nous dit que notre esprit, notre nature originelle (fitra) est notre véritable identité. Donc l’égoïsme, le manque de justice, l’ingratitude, l’arrogance, le racisme sont des désordres spirituels, des troubles de la personnalité.
Nous voyons la nécessité de l’investissement au nom de l’Esprit. Le développement spirituel doit et ne peut se faire qu’à travers cet agir, ce don de soi. Il faut se mettre au service de l’autre, afin de pouvoir sortir des deux illusions : l’illusion du “spirituel” fainéant et l’illusion de l’activiste égotique.
"Dieu nous dit que notre esprit, notre nature originelle (fitra) est notre véritable identité. Donc l’égoïsme, le manque de justice, l’ingratitude, l’arrogance, le racisme sont des désordres spirituels, des troubles de la personnalité."
NE RESTE PAS A L’OMBRE
Dans sa première prière, la prière de reconnaissance du tort qu’il s’est fait à lui-même, notre Maître Moussa (que Dieu nous connecte à lui) a exprimé son repentir pour s’être couvert et privé du soleil de la Connaissance Divine et de la croissance spirituelle, pour s’être figé à l’ombre loin de la Lumière (il utilise le terme “dhalamtou” qui vient de “dhalam” : ténèbres, ombre, obscurité) et des facteurs de croissance. Il entreprend alors cette Hégire physique et spirituelle pour quitter l’ombre, l’ombre de l’injustice (dhalam), l’ombre de Pharaon, l’ombre de l’âme figée, et ce n’est certainement pour y retourner par la suite.
L’ombre qu’il cherche est une ombre différente : il s’agit de l’ombre de la Grâce de Dieu (“tawala” dans le verset, “il retourne à l’ombre”). Il quitte l’ombre des ténèbres pour l’ombre de Dieu, l’ombre de Son Trône, l’ombre de Sa Grâce, car là est la recherche du serviteur. Ainsi, notre bien-aimé Moussa ne se permet d’aller à l’ombre qu’après avoir servi, qu’après avoir offert ses dernières forces à l'issue d’un long voyage éprouvant.
Et il n’est pas de ceux qui se précipitent vers l’ombre en se trouvant des excuses pour ne pas servir. Il n’a pas dit : “Les problèmes des autres ne me regardent pas, je ne veux pas être indiscret”, “j’ai déjà assez de problèmes, je ne sais pas où aller, c’est moi qui ai besoin d’aide” ou encore “la lumière ne m’intéresse pas, je veux aller à l'ombre, rester discret et ne rien entreprendre, car je suis un introverti ”. Car si personne ne s’engage dans le service et l’agir spirituel, qui va accomplir le devoir ? Qui soutiendra les faibles ? Et qui pourvoira aux besoins des nécessiteux ?
Pendant des années, notre bien-aimé Moussa a été à l’ombre de Pharaon tout en étant son ombre, l’instrument qui propageait l’ombre de ce roi injuste. Et son Hégire vise à sortir de cette ombre, à se défaire de cette ombre, à s’extraire et quitter définitivement cette ombre, pour se mettre désormais sous l’ombre de Dieu, au service de Dieu.
Ces deux services de l’ombre sont totalement différents :
Le service dans l’ombre d’un roi injuste ne mène pas à la croissance, tout au plus permet-il de se vanter de cette position sociale et mondaine et de s’auto-congratuler, de flatter son ego. Rien de plus ne peut être attendu, car ce roi injuste n’a certainement pas la volonté ni la capacité de faire progresser qui que ce soit ! En cherchant l’agrément du roi et non la Face de Dieu, on est dans une ombre néfaste qui ne permet pas de croître ou de pousser.
Alors qu’à l’ombre de Dieu, on est placé sous les nuages de Son Amour Nourricier et de Sa Grâce Abondante, et cela de façon continue. C’est une ombre bénéfique, protectrice. C'est un facteur de croissance.
Moussa se met donc à l’Ombre de Dieu, en se mettant à l’ombre et au service de ce Prophète ou Homme de Dieu qu’il rencontre à Madyan. Car symboliquement, les Hommes de Dieu, tout comme les mentors ou les guides spirituels, sont des Oasis. Il ne faut pas hésiter à aller se reposer à leur ombre, comme le fait notre Maître Moussa.
LES HOMMES DE DIEU : DES OASIS DANS LE DÉSERT
"L'homme ne voit-il pas que Nous l'avons créé d'une goutte de sperme ; et le voilà devenu un querelleur acharné;
Oubliant sa propre création, il nous teste en nous lançant une parabole, disant : « Qui donc fera revivre les ossements lorsqu'ils seront poudre, cendres et poussière ? »
Dis : « C'est Celui qui les a créés en premier lieu qui les fera revivre. Celui qui connaît parfaitement Sa Création.
C'est Lui qui, pour vous, a fait de l'arbre vert le feu dont vous utilisez la flamme”.
S.36 - V. 77 à 80
Derrière le sens apparent et très clair de ces versets, certains serviteurs de Dieu ont décelé un sens caché qui concerne la vie des cœurs. Selon cette lecture, ce passage de la Sainte Écriture Divine dit que lorsque le cœur est mort au point que la vie spirituelle de l’humain est réduite en poussière, Dieu fera revivre le cœur de ses cendres, le ramènera à la vie par un élixir de résurrection, une opportunité de renaissance qu’Il a Lui-même créée : la flamme de l’arbre vert.
Mais qu’est-ce que l’arbre vert dans cette lecture ? Selon une narration prophétique, les gens qui sont investis dans le souvenir et le développement de leur conscience de Dieu (dhikr) au milieu des inconscients, des gens distraits et insouciants, sont tels des arbres verts dans le désert. Ainsi, l’arbre vert est le symbole de l’Homme de Dieu, qui partage la flamme de son cœur pour faire revivre le cœur de ceux qui l’entourent.
Alors cherchez ces arbres verts, cherchez leurs Oasis pour vous reposer à leur ombre !
Nous n’avons pas d’excuses : ouvrons les yeux et réalisons qu'au-delà du contexte qui peut sembler morose, Dieu insiste à nous envoyer des personnes qui nous parlent de Lui et qui veulent nous transmettre leur flamme. Mais il faut se rendre jusqu’à cet arbre, et ne pas attendre que l’arbre vienne à nous ! Il faut sortir de soi et sortir de chez soi, sortir de sa zone de confort, et marcher sur les pas de Moussa pour trouver notre Oasis et notre arbre vert.
A ton arrivée, après ton voyage, tu pourras te reposer à l’ombre de l’Homme de Dieu.
Mais le temps passant, il ne faut pas s’enliser dans ce repos, dans cette nouvelle zone de confort. On n’est pas là pour consommer son Shaykh, son enseignant, son mentor ou son guide : il ne faut pas perdre de vue que cette vie est un combat contre l’ennemi invisible qui a dit à Dieu :
"[...] Puisque Tu m'as égaré, je leur obstruerai Ta Voie Droite,
puis je les harcèlerai, par-devant et par-derrière, sur leur droite et sur leur gauche. Et Tu ne trouveras, chez la plupart d'entre eux, aucune reconnaissance." S.7 - V.16 et 17
Que Dieu vous protège et nous protège.
Sache et prends conscience que tant que ton cœur bat, cet ennemi est en combat contre toi. Il s’agit donc de ne pas baisser la garde ! Nous avons besoin de reconstituer nos forces, et nous avons aussi besoin d’allumer notre flamme auprès de notre enseignant spirituel ! Car l’arbre vert est aussi un arbre enflammé, celui-là même auprès duquel Moussa est venu chercher du feu et où il a trouvé Dieu (cf. Qor’an, S.28 - V.30).
Si tu as la chance d’avoir un mentor, comprends bien qu’il vient t’apporter sa flamme pour que tu puisses rallumer la tienne à partir de la sienne. Ne rate pas cette occasion, ne va pas t’imaginer que tu pourras retrouver ta flamme dans la solitude ou dans l’isolement. Sors du mode paresse-mollesse-princesse, car ce qui te guette dans ce schéma, c’est la tristesse, la détresse, la dépression.
Alors, voici un conseil donné à tous mes frères et sœurs. Sortez de la dépression mes biens-aimés ! Sortez de votre auto-oppression ! Comprenez bien la valeur des Hommes de Dieu et de leur proximité. Notre bien-aimé Moussa a traversé le désert pour trouver un tel homme ! Alors prenez exemple sur lui, ne restez pas à l’ombre, et venez raviver votre flamme. Abritez-vous sous la bonne ombre.
Notre bien-aimé Moussa est entré au service de cet Homme de Dieu pour profiter de sa proximité, de son ombre et de sa flamme, et ainsi devrions nous faire : proposer nos services, apporter un plat, faire le ménage, peu importe. Servir l’Homme de Dieu est un moyen de s’approcher assez de la flamme pour se laisser embraser.
Cherchez Dieu ! Cherchez les Hommes de Dieu !
Et réalisez bien la Grâce et le cadeau immense que Dieu vous fait quand vous avez la chance de rencontrer un Homme de Dieu. Car normalement, les Hommes de Dieu sont voilés, cachés, méconnus. Et nous pouvons appréhender cette Règle Divine à travers le Qor’an qui ne cite que 33 Prophètes parmi les 124 000 envoyés à l’humanité ! Et parmi ces 33 Prophètes cités, 8 sont évoqués sans que leur nom ne soit jamais dévoilé. Ainsi, dans la Sainte Ecriture, 99,99% des Prophètes nous sont voilés. Et il en est de même avec les Hommes de Dieu marchant sur terre. Réalisez-vous l’opportunité et le don que Dieu fait à celui qui entend parler de l’un d’eux, ou qui en croise un et qui le reconnaît ? Notre cher Moussa n’a pas laissé passer cette opportunité, et il a traversé le désert, la peur, la soif, pour rencontrer un tel Homme.
Et n’oubliez pas que Dieu est partout, sa Présence embrasse tout.
Personnellement j’ai rencontré Dieu en retirant un mouchoir en papier abandonné sur le tapis d’une mosquée ! Et là j’ai trouvé ma flamme ! Je ne peux pas vous décrire ce que j’ai vécu à ce moment-là ! Alors que tous les autres élèves se jetaient sur le Shaykh pour lui embrasser les mains et demander ses bénédictions, moi je me tenais en retrait pour retirer ce mouchoir, de crainte que le regard de mon guide spirituel ne tombe sur cette négligence et ce manque de soin, et qu’il n’en soit peiné. C’est pour cela qu’on me voit toujours à la recherche de ce genre de détails à corriger : car c’est la porte qui m’a amenée à mon Seigneur. Et par Dieu ! Je me tiendrai toujours devant ces portes-là, quand bien même on dirait de moi que je suis obsédé par les détails.
LA VIRILITÉ SPIRITUELLE POUR L’AGIR SPIRITUEL
Ne ratez aucune occasion d’allumer votre flamme, ne négligez aucune opportunité : soyez des Hommes (rijal) ! Ce mot “rijal” renvoie à la chevalerie, à la virilité spirituelle, et non au genre de la personne. Ainsi, dans la Sainte Parole de Dieu, les Hommes sont tout aussi bien des hommes que des femmes, et on les reconnaît à ces 3 définitions :
- ou bien ce sont des Hommes qui aiment se consacrer à Dieu et qui aiment évoluer (S.9 - V.108)
- ou bien ce sont des hommes qui ne se laissent pas distraire par les choses de ce monde, restant toujours concentrés sur leur Seigneur (S.24 - V.37)
- ou bien ce sont ceux qui, “parmi les croyants”, ont honoré leurs promesses avec Dieu (S.33 - V.23)
Ainsi, ce ne sont pas tous les croyants qui sont considérés comme des Hommes. Et on remarque dans ces trois définitions que les vrais Hommes sont toujours définis par leur flamme, par leur rapport à leur relation avec Dieu.
Ce sont ceux qui se laissent purifier dans les Mains de leur Seigneur. Ceux qui le laissent faire Son Travail de développement sur eux, en se laissant façonner, travailler, cultiver et pétrir dans les Mains du Potier. Ils ne résistent pas à la correction et à l’enseignement, ils sont perméables à l’amour de Dieu et à la formation et transformation qu’Il leur envoie à travers les enseignants, éducateurs et forgerons des cœurs. Les Hommes savent bénéficier pleinement de l’ombre des Hommes de Dieu et de leur flamme, ils savent les voir, les réclamer et les accueillir comme des facteurs de croissance spirituelle.
Les Hommes sont donc des croyants qui ont fait l’effort d’évoluer et de se donner et se consacrer à Dieu. Et même un enfant peut être un Homme ! Un enfant qui par exemple honore sa promesse devant Dieu de s’abstenir d’utiliser son téléphone pour regarder de mauvaises images, même si ses camarades de classe le tentent, même si ses parents ne le surveillent pas. Il honore les pactes qu’il conclut avec Dieu, il est donc un Homme.
Comme nous l’enseigne Cheikh Ahmed Al Alawi dans un de ses enseignements sous forme de poème : “Ces Hommes qui se sont éteints, dissous, comme la neige ils ont fondu dans la Présence de Dieu”. Fondre comme neige au Soleil, se dissoudre à la Lumière Divine. Voilà ce que cherche un Homme. Et pour se faire, un Homme ne rate pas les opportunités qui lui sont offertes pour s’exposer à la Lumière, augmenter sa flamme et se laisser fondre comme neige.
L’AGIR SPIRITUEL DES PROPHÈTES ET DES HOMMES DE DIEU AU SERVICE D’UNE SOCIÉTÉ CIVILE SAINE
Tous les Prophètes et tous les Hommes de Dieu se sont mis au service du changement social positif. Ils étaient les guides, les bergers qui bâtissaient la société civile, comme le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière ainsi que notre connexion à lui) l’a été avec ses compagnons pour fonder sa nation (Oumma).
Qu’est ce que la société civile ? C’est la société qui est indépendante du pouvoir en place. Ainsi, la société civile saine est celle qui, quelle que soit la couleur du gouvernement en place, conserve ses valeurs et son éthique. C’est la société qui ne puise pas sa civilité dans les lois, les tendances ou les modes du moment. Par exemple, quand le gouvernement de Vichy exigeait que les juifs soient dénoncés et remis aux forces de l’ordre, une grande partie de la société civile n’a pas hésité à les protéger et à les cacher.
A l’époque du roi Yazid 1er (le deuxième roi après les 5 Califes), la société civile était le gardien de l’islam tandis que Yazid avait renié la voie. Bien conscient que la société civile ne se pliait pas à ses directives et gardait son intégrité humaine, il faisait tout pour la déstabiliser en lui retirant ses piliers. Il montait de toutes pièces toutes sortes d’histoires bancales pour justifier le massacre des compagnons du Prophète et de leurs familles respectives. Six mille compagnons ont été exécutés à Médine en une seule journée, tandis que leur femmes avaient été violées.
Dans leur grande intelligence spirituelle, ces femmes sont parvenues à garder les enfants issus de ces abus. Elles les ont aimés, les ont élevés et exposés à tous les facteurs de Croissance Divins pour en faire des Hommes (Rijal) qui ont grandi et ont finalement pu renverser ce pouvoir malsain et corrompu. Malik Ibn Anass était l’un de ces Hommes.
Voilà comment travaillent les gens de la spiritualité, les ingénieurs de la personnalité saine. Ils sont actifs dans le changement social, rarement de façon manifeste et frontale, toujours avec intelligence et profondeur.
Et dans l’histoire, on peut citer l’exemple de l’Imam Hassan (que Dieu nous connecte à lui) qui a délaissé le pouvoir qui lui était pourtant dû mais qu’on lui a usurpé, pour s’engager plutôt sur le vrai terrain : celui de l’éducation religieuse, du renforcement spirituel de la société civile et de tous les nouveaux musulmans qui venaient de par le monde. On peut aussi évoquer Moulay Idriss, contraint de quitter les terres sous le pouvoir des Abbassides pour éviter le massacre de sa famille. Il s’est établi au Maghreb au sein d’une tribu berbère nomade qui l'accueillit, et avec qui il travailla à bâtir toute une ville, puis tout un état au service de Dieu.
Enfin, plus récemment dans l’histoire, citons la famille Snoussi, descendante du Prophète (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui), qui fonda dans un petit village en Libye un lieu de de développement et de croissance spirituelle. Une vie sociale intense commença à s’organiser, et la population se mit à croître rapidement, attirée par ce projet de développement spirituel. En deux générations seulement, un descendant de la famille Snoussi devint naturellement émir et roi de toute la Libye.
Tous ces exemples nous montrent que même s’il est pro-actif, l’agir spirituel ne cherche pas à changer le contexte en lui-même. Il s'occupe plutôt d’enseigner à l’humanité comment écrire un beau texte malgré le contexte. Tout au plus cherchera-t-il à adoucir le contexte afin de faciliter le texte, mais son objectif n’est pas le contexte, sauf si Dieu en décide autrement (voir à ce sujet notre article Vivre ou subir).
Voilà comment travaillent les Hommes de Dieu, ils sont dans l’agir spirituel et le changement social. Et le Prophète Mohammed (que Dieu nourrisse son être de lumière ainsi que notre connexion à lui), nous dit que celui qui n’est pas dans l’agir spirituel avec sa main, sa parole, ou au moins avec son cœur, n’est pas un homme de Dieu, et n’est pas digne de ce nom-là.
Ainsi, le courant du fainéantisme spirituel qui pousse à l'oisiveté et à la passivité et à justifier l’absence d’agir spirituel par le spirituel est en totale contradiction. Car celui qui ne s’engage pas dans l’agir spirituel n’est pas vraiment dans le souci pour autrui, pour l’humanité, comme l’était le Prophète bien-aimé (que Dieu continue de nous faire parvenir sa lumière).
LE REAGIR SPIRITUEL N’EXISTE PAS
Pour en revenir à ce contexte difficile que fut le règne sanguinaire de Yazid 1er face à une société civile en désaccord avec ses actions et directives, l’imam Ali Zayn al-Abidine, fils de l’Imam Hussein (que Dieu nous connecte à eux ainsi qu’à leur héritage béni) a prêté son allégeance (bay’a) à ce tyran.
Quel choix surprenant au premier abord ! Comment expliquer le choix de cet Homme de Dieu qui a perdu son père, l’Imam Hussein, dans des conditions effroyables à cause de ce despote ?
Et il n’a pas seulement prêté allégeance, il s’est aussi rendu à la mosquée pour annoncer à tous ceux qui se préparaient à suivre les savants et les compagnons dans la révolte contre ce roi injuste vers Médine : “Je vous recommande de rester dans vos maisons, c’est mieux pour vous. A ceux qui me connaissent ou me reconnaissent, je suis le fils de cette personne pour qui vous vous apprétez à faire de Médine, la ville du Prophète Mohammed, un terrain de massacres. Je suis le fils de Hussein, fils de Ali. Y a-t-il une personne plus légitime de réclamer le sang de Yazid que moi, son fils ? Mais moi, j’ai prêté allégeance à Yazid et par Dieu, je ne reviendrai jamais sur mon engagement. Rentrez donc dans vos maisons.”
Personne ne l’a suivi.
Les gens se sont rendus sur le lieu de bataille, tombant dans le piège de Yazid qui attendait impatiemment cette réaction des foules pour tuer la résistance dans l'œuf et l'éradiquer. Le roi tyran n’avait plus qu’à se servir du prétexte de la légitime défense pour accomplir le massacre qu’il avait planifié de longue date.
Si l’Imam Ali Zayn al-Abidine, fils de l’imam Hussein, petit-fils de Fatima et arrière petit-fils du Prophète a refusé de prendre part à la révolte et à invité tout le monde à faire de même, ce n’est pas par désengagement, bien au contraire : c’est un engagement dans un agir spirituel intelligent. Il nous offre ainsi un modèle de l’engagement actif contre le faux et le mauvais engagement !
S’engager dans la précipitation c’est de la réaction ! Et là où il y a réaction, il n’y a pas d’agir spirituel. Si mon ennemi veut me provoquer, comment puis-je répondre dans l’agir spirituel ? En choisissant la résistance.
Si mon ennemi me donne une gifle sur la joue droite, voulant que ma réaction soit de lui donner des gifles en retour, ou de me battre avec lui, je dois me retenir de réagir. En restant maître de mes actions, je coupe court à sa tentative de manipulation et je romps avec son schéma. Je ne donne aucune continuité à son action, je la rends stérile. Comme notre Prophète Jésus (que Dieu nous connecte à lui), je tends l’autre joue, ce qui est loin d’être de la passivité, de la lâcheté ou de la faiblesse. C’est au contraire là que réside la vraie résistance au mal. C’est là l’expression d’une très grande intelligence et maîtrise de soi. Jésus a déclaré la paix, là où on attendait de lui la guerre pour le piéger.
C’est également ainsi qu’a agi le Prophète Mohammed (que Dieu continue de nourrir son être, sa lumière et notre connexion à lui). Lorsqu’il vivait à la Mecque, les Qoraych ont voulu donner de lui l’image d’un bandit en le provoquant sans cesse pour le faire réagir et pouvoir médire : “il dit qu’il est venu pour sauver l’humanité, il dit qu’il est venu avec la bonne morale, et regardez la contradiction, regardez le mal qu’il commet !”
Si le Messager de Dieu avait voulu mettre les qoraychites à genoux, il n’y avait rien de plus simple à faire. Ils vivaient dans une ville en plein désert, encerclée de montagne et ne vivant que du commerce basé sur deux caravanes seulement, l’une en été et l’autre en hiver. Il aurait suffi d’attaquer et de pirater ces deux caravanes pour faire s’effondrer tout le système qoraychite. Mais notre Bien-aimé Prophète ne s’est pas laissé prendre au piège.
Est-ce qu’il avait peur ? Se sentait-il trop faible pour riposter ? Rappelons que plus tard, lorsque les qoraych ont déclaré la guerre à Médine, notre Bien-aimé a su défendre militairement sa nation. Il s’est retrouvé dans une très grande infériorité numérique, engagé dans la guerre avec seulement 6 épées, 1 cheval et 60 bâtons, tous les autres combattants se battaient à mains nues. Ce fait prouve bien que notre Prophète bien-aimé n’a pas choisi la résistance à la Mecque par peur ou par faiblesse, car même avec des moyens et un effectif limités, il n’a pas hésité à s’engager dans le combat lorsque nécessaire.
S'il a choisi la résistance plutôt que le conflit à ce moment-là, c’est parce que le meilleur agir spirituel dans ce contexte-là passait par la résistance. Et agir autrement n’aurait été qu’une réaction, qui n’aurait rien eu de spirituel.
LE PROJET DIVIN : UNE PERSONNALITÉ ACCOMPLIE DANS UNE CULTURE SAINE
Les Hommes de Dieu connaissent bien leur priorité : permettre l’épanouissement d’une personnalité accomplie (insan kamil) et saine. Là est le Projet Divin et prophétique. Et un des outils, un des instruments pour accomplir ce projet repose dans une société et une culture saine, changement dans lequel les Hommes de Dieu s’investissent, et qu’ils se chargent de promouvoir et de cultiver.
Mais ils gardent bien à l’esprit que la société est un contexte et n’est pas une fin en soi, il ne s’agit pas de se battre pour en faire une société idéale ou utopique, c’est une perte de temps et d’énergie. D’ailleurs vous remarquerez que les Hommes de Dieu ne cherchent jamais à bâtir un empire ou à prendre le pouvoir, ce n’est jamais leur objectif. Leur but est la personnalité, non pas l’individualisme, mais la personnalité qui est le centre, le cœur de la société.
Si on se prétend spirituel, on doit se lancer dans des actions de changement social pour promouvoir la paix, le bien-être, l’égalité, l’équité, la justice etc. C’est un devoir. Nous devons marcher dans les pas des Prophètes qui ont tous répondu présents pour améliorer les conditions sociales et s’occuper des besoins de la société. Pas un seul Prophète n’a vécu en ermite, s’occupant de parfaire sa personnalité propre sans s’occuper de la condition des humains en général.
Là est l’investissement, la lutte (jihad) que nous avons définie plus tôt et qui se traduit ici par un engagement social dans des conditions difficiles et extrêmes. Il faut s’investir dans la lutte sociale consciente et intègre pour provoquer et permettre un changement social, non pas pour améliorer la société en soi, mais par souci pour mon frère ! Parce que même si je suis assez fort pour me développer sans avoir besoin de conditions sociales favorables, je ne perds pas de vue qu’il y a des personnes plus faibles que moi, et pour qui je nourris un souci prophétique. Par exemple, si on me propose de la drogue, je serai assez fort pour refuser. Mais qu'en est-il des autres ? Les jeunes les plus fragiles ? Les êtres les plus vulnérables ?
Car chaque être humain est un Projet Divin à l’image d’une graine, qui a besoin d’un environnement sain et de facteurs de croissance suffisamment nourrissants pour vivre et se développer. Cet environnement est ce champ de culture, cette culture saine dans laquelle la graine pourra s'implanter sans s’encastrer, se nourrir et croître harmonieusement. Plantée dans un tel champ, la graine pourra traverser des moments de sécheresse ou de froid intense, car ce sol fertile pourra lui fournir l’eau et la chaleur qu’il aura captés et retenus. Les autres plantes plus grandes pourront lui fournir l’ombre et des gouttes de rosée. Dans ce microcosme, dans ce microclimat, elle aura beaucoup plus de facilité à croître et à s’épanouir harmonieusement que si elle tentait de pousser seule sur un terrain inhospitalier, comme par exemple au milieu d’un chemin de traverse. Là est l’utilité de veiller à une culture saine, un cadre sécurisant pour la croissance, donc à une société basée sur une véritable conscience collective qui procure paix, justice et liberté.
"Pas un seul Prophète n’a vécu en ermite, s’occupant de parfaire sa personnalité propre sans s’occuper de la condition des humains en général."
Et ce changement social ne vise pas à changer une forme pour une autre tout en gardant le même fond, mais il s’agit d’investir son énergie dans un projet spirituel qui doit toujours être un projet transformateur (transformer, trans : au-delà, dépasser la forme), qui permet des transformations, des métamorphoses. Malheureusement, la majorité des projets réformateurs ne font que “re-former”, ils ne changent que la forme : une dictature pour une autre sous une autre forme, une injustice pour une autre sous une autre forme, etc.
C’est pourquoi on peut être surpris quand on voit les Maîtres spirituels qui ne soutiennent pas et ne s’investissent pas dans les réformes. Il ne faut pas y voir un désengagement ou de l’indifférence, comme nous l’avons vu avec notre Maître Ali Zayn al-Abidine. Mais il s’agit en réalité d’un refus de changer une forme pour une autre, en gaspillant au passage l’énergie des bonnes volontés qui s’y investissent. Les grands Maîtres ingénieurs de la personnalité islamique saine préfèrent s’investir dans des projets transformateurs moteurs, qui dépassent le fond et changent la forme. Là est le vrai agir spirituel.
Et ainsi, en mettant en place ces deux fondements que sont des paradigmes sains et une culture saine, soit une société qui protège contre les abus de toutes sortes et où règne la justice, la morale (et non le moralisme), la véritable liberté, la sécurité, l’épanouissement, l’égalité, la tolérance, le respect de l’autre, ils facilitent le cheminement spirituel de tous.
Tout fils d’Adam, tout héritier du secret Prophétique doit ainsi pouvoir se forger en paix pour développer une personnalité saine. Et comme nous l’avons vu, en plus d’une société saine, un autre outil de ce développement réside dans les paradigmes sains.
NETTOYER NOS PARADIGMES
Il se trouve que nos paradigmes sont souvent pollués : individualisme, rationalisme, modernisme, et tant d’autres paradigmes qui agissent sur nous comme des œillères, nous empêchant d’accéder à notre potentiel de développement et de croissance spirituels pour l’exprimer. Et même sur le terrain de l’agir spirituel, nous avons encore en nous des paradigmes qui nous empêchent de poser un bel agir : héroïsme de bande dessinée, manichéisme, fatalisme … nous devons nous défaire de tout cela.
Pour commencer, il est très important de nous rappeler ce paradigme sain que nous avons vu dès le premier article de ce voyage de Moussa qui veut que c’est à partir des valeurs que l’on doit construire son action :
Ce qui nous amène à bien réaliser que les intentions, les prières, notre connexion à Dieu et notre devoir de serviteur envers Lui doivent être l’origine et le fondement de nos actions. Et les Hommes de Dieu nous rappellent et nous aident à nourrir cette inspiration, qui est le cœur et la base de tout accomplissement.
Nous devons sortir de ce paradigme qui consiste à croire que les Hommes de Dieu sont des personnes à l’écart de l’action. Au contraire, elles sont au cœur de l’action, et nous devons les mettre au cœur de nos actions, rechercher leur avis, leurs prières, leur soutien spirituel dans chacune de nos initiatives.
Nous avons également appris à aimer ce genre de récits qui nous détournent du véritable agir spirituel, ce genre de récits très dramatiques et théâtralisé du type : “Le tyran ordonne à la foule réunie devant lui de se prosterner, et tous se prosternent. Sauf un homme se tenant droit debout, digne, sans vaciller. “Je ne me prosterne devant personne, sinon devant mon Seigneur !” s’exclame-t-il avec courage et détermination. Car toi, tu n’es qu’un despote ! Tu répands le mal et la corruption dans ce pays, tu pratiques l’injustice, et tu sèmes la pauvreté et la misère. J’appelle à la révolte contre toi, je n’ai pas peur de toi !”
Ce genre de récit, romanesque et cinématographique, contient des codes et des paradigmes dont nous devons absolument nous défaire car ils polluent l’agir spirituel sain.
LE PARADIGME PROPHÉTIQUE
Certes, le Prophète Mohammed a dit, comme l’ont dit nos biens aimés Issa et Moussa (que Dieu continue de nourrir leur être, leur lumière ainsi que notre connexion à eux) : “la meilleure expression de foi qui puisse exister c’est dire la vérité devant un tyran”. Car il est vrai qu'il n'y a pas de meilleure façon d'exprimer sa foi que de dire la vérité devant un roi, un empereur, un pouvoir tyrannique. Mais de quelle manière dois-tu t’y prendre ? Là est la question.
Quand nos Maîtres de la conscience Moussa et Haroun (que Dieu nous connecte à eux) sont allés se confronter à Pharaon, Dieu leur a demandé à ce qu’ils disent des paroles de Vérité, sans chercher le compromis ou à lui faire des éloges, des flatteries ou des compliments. Mais Dieu a également demandé que ces paroles de Vérité soient dites avec douceur, non pas par crainte de déclencher la fureur de Pharaon, mais dans le but de parler à son cœur. L’objectif était d’établir une connexion avec le cœur de Pharaon afin de le libérer. L’objectif n’était donc pas de délivrer les enfants d'Israël en combattant ou en abandonnant Pharaon à son propre sort, l’objectif était de délivrer tout le monde de Pharaon, y compris Pharaon lui-même. Voilà le paradigme de l’agir spirituel et prophétique.
Poussons l’analyse plus loin encore. Dieu ne demande à Moïse d'aller libérer les enfants d’Israël qu'après avoir tout essayé pour inviter Pharaon à la Voie de Dieu. Car là est le cœur du message prophétique quel qu'il soit : c’est l’invitation à Dieu (da’wa). Dieu a enjoint Moussa et son frère d’appeler Pharaon à Dieu avec douceur, clémence et diplomatie, tout en prenant pitié de son état. Car un être humain qui se croit au-dessus de Dieu est vraiment dans un triste état. Son cœur est dans un triste état, et tout l’objectif est de tenter de ramener ce cœur à la vie en l’aidant à se rappeler de Dieu, en usant d’un langage et d’une approche intelligente émotionnellement comme spirituellement.
On est loin de cet activisme moderne qui consiste à écraser le tyran pour libérer le peuple. Raisonner en termes de coupables et de victimes, c’est de la politique de l’âme figée qui aime les cases et les cages, et ce n’est pas un jugement vrai, un jugement sur les faits. En agissant ainsi on juge les gens, on les diabolise, on les enferme définitivement dans une case, et on refuse pour eux le droit et la chance d’être sauvés. Or, ce n’est pas ça le Projet Divin.
Rappelons-nous le récit du jour de l’Ouverture de la Mecque, lorsque le Prophète est entré dans la ville : les mecquois se tenaient tremblants autour de lui, attendant la sentence pour les vingt longues années de massacres, de persécutions, de guerre, de maltraitances, de haine, d’injustices de leur part. Il leur a alors dit : “que pensez-vous que je vais faire de vous maintenant ?”
Au ton de sa voix, ils se sont rappelé du Véridique Digne de confiance (as-siddiq al amine), celui qui était pour eux l’exemple, le modèle de vertu, de droiture et de justice. Leur cœur s’est empli d’espoir et leurs œillères forgées par vingt ans d’antagonismes sont tombées. Il s'agit de Mohammed ! Leur frère généreux et honorable, fils d’un frère généreux et honorable. Et quel fut son message pour eux ? Ce fut un simple : “partez donc en paix”. Ni plus, ni moins.
A-t-il lancé une chasse aux sorcières contre ceux qui s’étaient érigés en ennemis ? Non. Et qu’a-t-il dit aux ennemis qui l’ont insultés, combattu et ont massacré ses proches ? “Celui qui rentre chez lui est en paix, celui qui rentre dans le sanctuaire (Ka’ba) est en paix, celui qui rentre dans la maison du chef des ennemis est en paix.”
La revanche ou la vengeance ne font pas partie de nos paradigmes. Ce n’est pas notre vision de la paix et de la justice. Ce n’est pas notre vision du souci Prophétique et ce n’est pas notre vision du service et de l’agir spirituel. Alors maintenant posons nous la question : comment l’imam Al-Mahdi (que Dieu nous connecte à lui) libérera la terre sainte des envahisseurs injustes à la fin des temps ?
Dans l’imaginaire de l'activisme de l'islam-isme d'aujourd'hui, il est représenté en train de massacrer, d’apporter une revanche, une vengeance. Mais vous réalisez bien que ce n’est pas logique, il y a un problème de cohérence dans les paradigmes. On n’est pas sur un paradigme prophétique quand on imagine cela ! Un projet prophétique, c’est un projet spirituel, il doit commencer comme le Prophète l’a commencé dans son début, utiliser le moyen qu’il a utilisé au cours du projet et avoir la même fin.
"La revanche ou la vengeance ne font pas partie de nos paradigmes. Ce n’est pas notre vision de la paix et de la justice. Ce n’est pas notre vision du souci Prophétique et ce n’est pas notre vision du service et de l’agir spirituel."
Que fera donc l’Imam al-Mahdi (que Dieu nous connecte à lui) ? Il fera comme le Prophète a fait. Il appellera les gens à rentrer chez eux, et à vivre en paix. A ne pas laisser la haine les couper de leur esprit qui est par nature imbibé du souci Prophétique, qui aime pour autrui ce qu’il aime pour lui-même. Qui souhaite la paix pour ses opposants et leurs enfants, qui souhaite offrir à cette descendance une société de paix et de justice que leurs parents ont échoué à leur offrir. Une société qui lutte contre les injustices et le racisme, une société qui montre ce qu’est une gouvernance juste.
Réfléchissons bien : est-ce qu’il vaut la peine de détrôner un dictateur pour mettre un autre dictateur d’un autre camp à la place? Est-ce qu’il vaut la peine de perpétuer les massacres en les amenant simplement d’un camp à un autre ? Le sang de l’être humain contre le sang d’un autre être humain ? Agir ainsi, c’est agir en totale déconnection avec l’esprit.
Or, l’agir spirituel part d’un esprit, bien enraciné dans le Divin, qui est nécessairement moral, éthique, vertueux. Sinon, un agir n’est pas digne d’être qualifié de spirituel.
Quant aux réflexions du type “le Prophète a tué, le Prophète aussi l’a fait”... il est très facile de démontrer la fausseté de tous ces mythes, un par un. Puis, souvenez-vous que notre histoire a été réécrite plusieurs fois à l’époque des rois omeyyades ou abbassides pour justifier leur tyrannie et leurs massacres sous couvert de suivre les pas du Prophète. Il sont bien allés jusqu'à tuer les enfants et les compagnons du Prophète même sous ce motif inventé de toutes pièces, comme nous l’avons vu à l’époque de l’Imam Ali Zayn al-Abidine.
ENGAGEZ-VOUS
Je l’avoue, la fainéantise au nom de la spiritualité est mon ennemi numéro 1. Le désengagement, le manque d’investissement et le froid que l’on trouve chez certains d’entre nous me brûlent vraiment le cœur. Alors ceci est un appel pour toutes les bonnes âmes qui me liront. Mes chers frères et sœurs, dès maintenant, n’attendez plus, donnez votre flamme ! Dépensez de votre amour ! Investissez-vous dans la Voie, donnez de votre être et de votre avoir si vous voulez vivre un vrai cheminement !
Malheureusement, souvent, quand les gens trouvent un Guide Spirituel de nos jours, c’est souvent pour consommer de sa sagesse et de ses conseils, sans penser à donner en retour. On lui parle de nos problèmes, de notre divorce, de nos enfants, de nos rêves, de nos mauvaises pensées, etc… Mais sans rien donner, sans vouloir l’aider dans sa mission qui est d’inviter le plus de monde possible à la Vraie Vie !
"Mes chers frères et sœurs, dès maintenant, n’attendez plus, donnez votre flamme ! Dépensez de votre amour ! Investissez-vous dans la Voie, donnez de votre être et de votre avoir si vous voulez vivre un vrai cheminement !"
Le temps est venu d'amorcer un changement. Il nous faut changer ! Si on veut être la génération qui apporte quelque chose de bien, il faut sortir définitivement du consumérisme.
René Guénon a théorisé le fait que la monnaie de la modernité est ce que l’on appelle le renforcement de l’individu. Or, comme il le dit si bien, cette modernité ne fait qu’isoler l’individu de la structure familiale, tribale et de ses traditions, afin qu’il ne devienne plus qu’une particule. Devenu particule, il est si facile de l’écraser... Comme a dit Bourguiba, nous ne sommes pas une communauté ni une nation, nous sommes une poussière d’individu.
Partout autour de nous pourtant, des gens sont dans l’agir spirituel, qu’ils en aient conscience ou non. Nous avons besoin de nous joindre aux efforts qui sont en train d’être fournis autour de nous, c’est un besoin en nous auquel il nous faut répondre. Et si nous choisissons de rester dans l’immobilisme, alors nous n’avons aucun droit de nous plaindre.
Nous ne pouvons plus continuer à rejeter la faute sur le contexte ou sur les autres, ou à nous mentir à nous-mêmes de cette manière. Car cela ne fait pas changer les choses en réalité. Nous sommes arrivés à la sixième ou septième génération de gens qui stagnent et ne font que se plaindre, encore et toujours, à propos du passé, du présent et du futur. Que ce soit au sein de la communauté humaine au sens large ou de la communauté musulmane, ou même des petites communautés locales. Et la situation ne s’améliore pas pour autant.
Soyons dans l’action, soyons force de proposition, soyons des leaders ! Comprenons l’exemple de Moussa qui trouve un prophète et se met au service de son projet. Il va poursuivre son apprentissage durant plusieurs années, jusqu’à ce qu’il soit prêt à devenir lui-même un leader. Marchons donc sur ses traces. Sortons de nos zones de confort, osons le bel agir, l’agir spirituel, et cessons de nous plaindre.
Que Dieu ne nous prive pas du bien qu’Il descend, à cause du mal que nous manifestons. Que Dieu fasse de nous des clés pour ouvrir les portes du bien, et des serrures pour bloquer les portes du mal. Amine
NOTRE PRIÈRE SUR LES PAS DE MOUSSA
Voici notre cinquième prière sur les pas de Moussa, une prière de notre époque qui exprime ce même état, cette même station que la cinquième prière de l’Hégire de Moussa. Puissions-nous devenir des canaux de la Paix de Dieu sur Terre !
Série d'articles issus d'enseignements donnés en août 2020
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